Les Liaisons secrètes

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L´architecte Larry Coe, marié et père de famille, se retrouve pris dans une relation complexe avec la belle Maggie Gault, une voisine ayant elle-même une famille.

Sous leur aspect faussement policé et grand public, les mélodrames à succès de Douglas Sirk auront largement contribué à l’évolution des mœurs dans l’Amérique des années 50. Ces films « ripolinés » et léchés, ciblant les ménagères, abordaient des questions audacieuses comme le racisme, la médisance ou l’adultère. D’autres mélodrames moins marquants lui emboîtèrent le pas durant la décennie. A Summer Place (1959) de Delmer Daves osait ainsi parler de la sexualité adolescente tandis qu’un ancêtre des soap operas (format dans lequel il fut d’ailleurs adapté par la suite) comme Peyton Place (1957) de Mark Robson traitait des noirs secrets d’une petite ville américaine impliquant viols, inceste et meurtre. Les Liaisons secrètes, sorti en 1960, témoigne de cette liberté nouvelle et annonce les œuvres plus ouvertement dérangeantes des années à venir. Sur une structure dramatique calquée sur Brève Rencontre (1946) de David Lean, le film de Richard Quine ne se contente pas de traiter l’adultère sous l’angle de la seule culpabilité, mais l’utilise pour des questionnements plus profonds qu’il implique sur les transformations de la société américaine de l’époque.

 

American way of life

Les Liaisons secrètes analyse, à travers les motifs qui vont rapprocher les amants, les mutations en cours d’une Amérique à la veille des bouleversements majeurs des 60’s. Le personnage de Kirk Douglas interroge notamment la place de l’homme, sa fonction et ses aspirations, sorti de ses obligations à subvenir aux besoins de sa famille. Architecte brillant, Larry Coe est peu satisfait de sa vie, enfermé dans un train de vie conformiste. Par son souhait de ne travailler que pour des projets novateurs et stimulants, il fait preuve d’un volontarisme et d’un libre arbitre peu en rapport avec son statut de chef de famille. Incompris par sa femme le poussant à choisir des emplois plus lucratifs, il est en quête d’autre chose que ce que le monde moderne lui réclame (travailler dur et nourrir les siens). Les discussions qu’il partage avec le personnage d’Ernie Kovacs, écrivain pour qui il construit une maison hors norme, sont à ce titre passionnantes sur la perte de repères de la figure masculine. Kirk Douglas offre une de ses plus poignantes prestations sous les traits de ce Larry Coe, anticipant grandement son futur rôle dans L’Arrangement (1969) d’Elia Kazan.

La présence froide, éthérée et sensuelle de Kim Novak sied à merveille à son personnage de femme esseulée. Le film se montre là tout aussi audacieux autour de cette mère de famille ordinaire, affirmant son désir et sa frustration. Quelques indices et dialogues en filigrane nous indiqueront que, élevée par une mère abusive aux mœurs légères, elle se maria avec le premier venu, lui permettant ainsi de quitter sa situation. Désormais mariée et mère, elle n’en est pas plus satisfaite pour autant. Une scène est particulièrement marquante quant à la rupture entre la mentalité masculine ordinaire des 50’s et l’affirmation moderne de la féminité. Kim Novak accueille son mari rentré du travail en se montrant particulièrement pressante, l’« allumant » corsage défait et tout en poses suggestives provocatrices de désir. Ce dernier, homme de la vieille école, se montre tour à tour faussement indifférent puis décontenancé car incapable de comprendre que l’expression de la libido puisse émaner de manière aussi affirmée du sexe faible (en tous cas pas s’il s’agit de sa propre femme).

Tant au niveau des dialogues que des situations équivoques, le film est d’ailleurs assez précurseur dans son rapport au sexe, abordé sans détour ni métaphore (inoubliable moment où Douglas dit à Novak « I want make love to you » de manière crue et directe). Confrontés à leur solitude respective et à l’incompréhension de leur entourage, Larry et Maggie sont donc fin prêts à entamer leur liaison, mais seront rattrapés par le règne des apparences.

 

Le secret derrière la porte

La relation entre Kirk Douglas et Kim Novak s’avère des plus poignantes, en grande partie par le jeu fragile de cette dernière. L’actrice évolue en toute confiance avec Richard Quine, son réalisateur fétiche avec qui elle tournera trois films (dont la belle screwball comedy teintée de fantastique, L’Adorable voisine, 1958). Elle se met grandement en danger avec ce personnage de femme glaciale et fuyante dont la distance et les refus sont autant d’appels du pied inconscients que ne manquera pas de déceler Kirk Douglas. L’alchimie entre les deux est parfaite, le désir et la complicité se dégageant de toutes leurs scènes communes, même avant que la relation adultère ne soit entamée. Un lien fragile mais sincère entre ces deux êtres, bientôt obscurci par le cadre dans lequel ils évoluent.

 

Tim Burton n’aura eu de cesse de l’affirmer dans certains de ses meilleurs films comme Edward aux mains d’argent (1990) : les banlieues pavillonnaires proprettes made in US ne sont qu’hypocrisie et malveillance. Le couple va ainsi peu à peu se désagréger, précisément à cause de ce cadre malsain. Une première scène nous aiguille avec une douloureuse confession de Kim Novak révélant avoir subi un quasi-viol un an plus tôt dans le quartier. Plus tard, ce sera au voisin sournois et faussement puritain campé par Walter Mathau (sa bonhomie rassurante cachant une vraie perversité) de tenter sa chance avec la femme de Douglas (jouée par Barbara Rush), profitant  d’avoir précédemment découvert la liaison des héros. Un évènement qui scellera la décision de Larry de rester avec sa femme : Kim Novak n’a pu entretemps se résoudre assez tôt à faire un pas significatif vers lui et ainsi faire évoluer leur relation, par peur des réactions du voisinage.

Comme dans Brève Rencontre, on use ici de l’artifice de la promotion à l’étranger (construire une ville dans la jungle hawaïenne pour Kirk Douglas) pour rendre définitive la séparation des amants. Loin d’être une facilité, ce choix aura été appuyé par la force des dernières scènes montrant le paisible quartier sous son vrai jour, celui d’une prison oppressante et malsaine. S’aimant d’un amour pur, Larry et Maggie sont donc contraints de se quitter, et c’est dans la maison fraîchement construite, symbole d’espoir et de déception, qu’ils vont se voir pour la dernière fois, fantasmant l’existence qu’ils auraient pu y mener. À l’image du reste du film, Richard Quine filme le moment tout en sobriété, au plus près des personnages, le montage et les cadrages appuyant la force de chacun de ces derniers regards. Volontairement dépourvue de l’emphase picturale d’un Douglas Sirk ou de la dramatisation exacerbée de David Lean, la conclusion reste à la hauteur touchante et pathétique de ses héros, renonçant au vrai bonheur. Les larmes de Kim Novak et sa voiture s’éloignant vers une existence morne seront les dernières images de cette fin magnifique.

Classique oublié, Strangers When We Meet mérite grandement d’être redécouvert tant il s’affirme comme une des plus belles réussites du mélodrame moderne.

Titre original : Strangers When We Meet

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Durée : 117 mn


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