Les Idiots (Idioterne)

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Certains cinéastes tirent l’intensité dans leurs films de l’histoire qu’ils racontent, d’autres de leur art de la réalisation, d’autres encore des personnages qu’ils mettent en scène. Lars von Trier appartient à cette troisième catégorie. Dans Breaking the waves et Dancer in the dark, il s’agissait du portrait de deux femmes qui se sacrifiaient par amour, […]

Certains cinéastes tirent l’intensité dans leurs films de l’histoire qu’ils racontent, d’autres de leur art de la réalisation, d’autres encore des personnages qu’ils mettent en scène. Lars von Trier appartient à cette troisième catégorie. Dans Breaking the waves et Dancer in the dark, il s’agissait du portrait de deux femmes qui se sacrifiaient par amour, dans Dogville et ses « séquelles » de Grace, personnage d’une complexité presque insondable. Dans Les Idiots (Idioterne), bien que Stoffer arrive en tête en termes de présence à l’écran, c’est Karen le personnage principal, la clef du film.

Stoffer n’avait cesse de répéter que le but de l’expérience était de trouver son « idiot intérieur ». Karen, elle, en ressort avec une force qu’elle ne soupçonnait pas, tirée essentiellement de son amour pour les gens du groupe. Le dernier dialogue de la petite communauté, tiré de son contexte, est assez pathétique, mais pourtant il occupe une place primordiale. L’expérience touche à sa fin et il s’agit maintenant de « faire l’idiot » en dehors du groupe, dans la « vie réelle » ; mais personne n’accepte, personne ne prend ce risque : « Tout ça n’était qu’un grand mensonge », affirme Stoffer, désabusé. Karen ne prend pas la peine de répondre directement, elle dit plutôt : « Je voudrais dire combien j’ai été heureuse ici. Etre idiote avec vous est la meilleure chose qui me soit arrivée. », concluant par ces mots : « Je crois que je vous aime plus que je n’ai jamais aimé personne ».

Et la voilà partie dans sa famille « faire l’idiote ». Susanne l’accompagne, et nous avons l’impression d’être les yeux de Susanne, spectateurs en direct du sacrifice de Karen. Bien sûr, sa famille ne comprend pas son comportement, et son mari en vient même à la gifler. Karen montre deux choses lors de la dernière séquence (d’une intensité extraordinaire) : tout d’abord qu’il était possible de retirer quelque chose de l’expérience, puisque elle-même y a puisé une force inimaginable lui permettant d’aller « faire l’idiote », ce qu’aucun autre des membres du groupe n’aura eu le courage de faire. Ensuite, à voir à quel point elle s’humilie, se ridiculise et se condamne délibérément, qu’effectivement tout cela était suicidaire, que le projet n’était que supercherie, et que l’idée de « faire l’idiot » ne pouvait être une fin en soi.

Karen, qui devinait probablement la réaction de sa famille, est, sous ses aspects de femme faible et naïve, un « cœur pur », figure de l’amour désintéressé à l’image de Bess de Breaking the waves. Elle est aussi une lumière, car c’est elle qui aura montré aux autres membres du groupe (et aux spectateurs) que la finalité de l’expérience ne faisait pas sens, la rendant inutile voire arrogante. Mais aussi, paradoxalement, qu’elle n’était pas veine si l’on prenait la peine de la vivre comme une expérience humaine. Elle aura mis en évidence en quoi le projet portait en lui les germes de son échec, mais aussi sous quelles conditions ses débordements pouvaient se révéler nobles.

Les Idiots est un film voyeuriste, troublant, dérangeant, malsain et intense qui partagea et partagera encore les avis. Il s’agit là du dernier film du cinéaste à se réclamer du « Dogme 95 ». Alors on pourra éternellement jaser sur les principes du « Dogme » et même comparer Les Idiots à Festen, la la référence en la matière. Mais peut-être pourra-t-on également oser affirmer que là n’est pas la question. Car les films de Lars von Trier, quelle que soit leur forme, sont ceux de la puissance même ; ils tendent vers une abstraction aux horizons puissants, equissant des rouages psychologiques essentiels et introduisant des pistes de réflexion complexes pour finalement nous toucher profondément.

Titre original : Idioterne

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Durée : 117 mn


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