L’Énigme du Chicago Express

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Le chef-d´oeuvre de la première période de Fleischer.

Dernier film de Fleischer à la RKO, L’Énigme du Chicago Express (1952) synthétise idéalement l’ambition formelle du cinéaste, qui a su prendre appui sur les contraintes de la série B pour travailler le style avec audace et vivacité. S’y déploie un sens de la condensation dans le cadrage, le rythme, la mise en scène, qui semble trouver sa pleine mesure dans l’exiguïté des corridors et compartiments du train dans lesquels les personnages évoluent durant l’essentiel du film.

Contraint par le décor, le cinéaste se défie du bon goût pour ne cesser d’inventer de nouvelles manières de placer sa caméra et de rythmer son cadre. La caméra est portée. L’image tremble souvent. Il y a du flou, des imperfections. Si son cinéma reste, à ce stade, comme une bonne partie du cinéma américain de l’époque, hanté par l’esthétique expressionniste, il insuffle au film noir une dose de nervosité qui n’aura d’équivalentes que les expériences d’Anthony Mann (déjà scénariste pour Fleischer sur Assassin sans visage en 1949) et de Samuel Fuller lors de leurs incursions dans le genre. Le film s’appuie sur des moyens essentiellement stylistiques pour assurer une sensation à la fois d’inconfort et de vitesse, et pour entrer dans une relation à la violence strictement cinématographique : une violence de plans, d’angles, de raccords.

 

Filant en ligne droite avec une tension qui ne se relâche qu’à de très rares occasions, le récit de L’Énigme du Chicago Express relate le trajet effectué par un policier et, placée sous sa protection, la femme d’un gangster assassiné qui doit témoigner contre les anciens complices de son mari. Également à bord, ceux-ci tentent de les éliminer avant leur arrivée à destination. Et s’ils sont assez vite capables de reconnaître le policier, suite aux premières scènes au terme desquelles son coéquipier est assassiné, celui-ci, en revanche, n’ayant jamais vu le visage des meurtriers, se contente de ses intuitions pour identifier la menace.

La situation d’inconfort construite par le filmage se double des développements paranoïaques d’un scénario qui se plaît à entretenir le trouble sur l’identité de chacun. Le visage de la femme traquée par la pègre est également inconnu de ceux qui cherchent à l’assassiner. Deux stratégies s’opposent alors, entre poursuivants et poursuivis. Premièrement, regarder jusqu’à plus soif, pour traquer les signes permettant d’identifier sa proie, la multiplication des gros plans sur les visages allant dans le sens d’une restriction de l’espace, d’une impossibilité d’échapper à un œil qui se donne pour mission de décortiquer chaque recoin, et participant de montées de tension qui culminent dans des échanges de coups qui défigurent, qui font saigner, donnant corps à une énergie sadique purement scopique. Deuxièmement, se donner de l’air en donnant le change, désorienter ce regard agressif pour ré-élargir le cadre et mieux s’y fondre. Maintenir inviolée une cache peu fiable en nouant des liens avec une autre personne pour détourner les soupçons. À noter que le film prend son dernier tournant au moment où resurgit le personnage le plus ostensiblement sadique, à savoir le tueur au manteau de fourrure.

Les signes sont ambigus, ici, plus que jamais chez Fleischer, où le récit défie les représentations du personnage et du spectateur, tout en se jouant des clichés du genre. Les personnages posent question : à chacun son double-fond, son deuxième compartiment avec secret au premier abord impossible à appréhender. L’interprétation de Charles McGraw, imposant un corps trapu, peu avenant, et un tempérament sanguin, donne une image agitée, inquiète et inquiétante du héros, qui préfigure bien des personnages à venir dans le cinéma américain, notamment dans les années 1970. Aucun déploiement de ses puissances de séduction, mais un corps pris dans une lutte pour garder une prise sur le récit, traversant des phases de déconnection. Un corps hyper-réactif, bouillonnant, dont le visage et les poings filmés en gros plans agissent à la manière des tranchants les plus vifs. Un pas vers une violence faite à la matière même du film.

Titre original : The Narrow Margin

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Durée : 71 mn


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