Le Voyage en Arménie

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Barsam sait qu´il va mourir. Il est atteint par une maladie incurable. Plutôt que de végéter, alité dans un hôpital marseillais, il préfère aller couler ses derniers jours dans son pays natal. Ce retour aux sources sera aussi un aller vers l´inconnu pour sa fille, Anna. Barsam disparaît en prenant soin de lui laisser suffisamment […]

Barsam sait qu´il va mourir. Il est atteint par une maladie incurable. Plutôt que de végéter, alité dans un hôpital marseillais, il préfère aller couler ses derniers jours dans son pays natal. Ce retour aux sources sera aussi un aller vers l´inconnu pour sa fille, Anna. Barsam disparaît en prenant soin de lui laisser suffisamment d´indices pour qu´elle parte à sa recherche. Inquiète, en quête de son père, elle se trouvera elle-même. Voyage initiatique, elle découvrira son identité, son arménité, son pays insoupçonné, par-delà tous ses préjugés. C’est dans un petit village perdu dans les hautes montagnes du Caucase qu’elle le retrouvera, assis à rêver sous un abricotier en fleur…

Étonnamment, Guédiguian délaisse l´Estaque pour la terre de ses ancêtres. Contrairement au réalisateur d´Ararat, Atom Egoyan, qui se sent profondément arménien, Guédiguian part à la découverte d’un pays étranger, dont il n’a conservé que la consonance du nom. Réalisateur de quartier, Guédiguian a longtemps été étiqueté comme cinéaste de l´Estaque. Pourquoi alors partir pour un Voyage en Arménie ? Sans doute parce que son nom, Guédiguian, qu´on a toujours tendance à prononcer << avé l´accent >>, comme Marseillan, est bel et bien arménien.

Si ce 8ème long-métrage est le premier film du réalisateur à parler de l’Arménie, ses précédentes oeuvres contiennent toutes des clins d´oeil à ce pays qui lui est cher. Dans La Ville est tranquille, Guédiguian présente un petit arménien venu de Georgie ; Dans A la place du coeur, il fait entendre quelques mots d’arménien ; dans Mon père est ingénieur, il fait jouer une musique d’Arto Tunçboyacyyan. Si les échos arméniens résonnaient déjà dans ces films, la voie vers ses origines a creusé son sillon. Elle passait dans Le Promeneur du Champ de mars, portrait d´un François Mitterrand dépeint avec un contre-point critique, et mûrissait déjà dans Mon père est ingénieur, l´histoire d´une femme amnésique qui redécouvrait sa propre vie comme étrangère. Exit l’Estaque et les docks, pour les contreforts du Mont Ararat, montagne symbole, que les Turcs ont confisquée aux descendants de Noé et des premiers Chrétiens qui peuplèrent les hauts plateaux du Caucase. L’Arménie est sacralisée comme une terre d´Eden, alors qu´elle a été entachée du rouge sang des martyrs du génocide de 1915, et des couleurs pâlies d’un communisme révolu, à défaut d’avoir été réellement révolutionnaire.

Le Voyage en Arménie décline, tel un carnet de voyage, les aventures du quotidien d’Anna. Tout commence à Marseille, évidemment. Juste le temps, pour Guédiguian, d´emballer en quelques séquences ses décors, comme s´il faisait ses bagages. Il emporte sa << famille Guédiguian >>, sa femme (Ariane Ascaride), sa fille (Madeleine Guédiguian), Gérard Meylan, Jean-Pierre Darroussin, Jalil Lespert, pour un voyage initiatique en Arménie. Jouant la partition de la spontanéité (et non pas de l´improvisation !) chacun des personnages se révèle surprenant. Ariane Ascaride campe avec aplomb le rôle d´Anna, cardiologue originaire de Marseille, pétrie de certitude. Ce petit bout de femme dirigiste et quelque peu psychorigide part à la recherche de son père pour le soigner contre son propre gré. Suivant son but, butée, elle ne veut pas s´ouvrir à son pays originaire. Pourtant, elle fait la rencontre de la belle Schaké, qui arrondit ses fins de mois en dansant nue dans une discothèque, rêvant d’une nouvelle vie à Paris ; de Yervanth (Gérard Meylan) le roublard, qui ferme les yeux sur le trafic lucratif de médicaments, dans un pays où les médicaments ne sont jamais remboursés ; de Sarkis Arabian, le diplomate arriviste, mafieux et corrompu. Chacun de ces personnages reflète une facette de cette Arménie d´aujourd´hui, mi-figue, mi-raisin. Anna devient, malgré elle, cette << Française d'Arménie >> », plongée dans le chaos du flou identitaire, face à la mosaïque composite que constituent les différents visages d’une même société.

Et c´est sans doute le point fort de ce film, que de dépasser tout manichéisme d´une Arménie figée afin de la saisir dans toute sa complexité. Guédiguian pose un regard lucide sur la question de la mémoire et celle du présent chaotique, entre système mafieux et aide humanitaire, et celle des solutions à imaginer pour tirer le pays vers le haut. Esthétiquement parlant, Guédiguian reste fidèle à son style : ses travellings qui survolent ce pays, tamis de pierre, étonnant ; son regard à la fois sensible et évanescent sur des choses qui se dérobent à leur matérialité pour verser dans le champ du ressenti. Néanmoins, il pêche dans le mélange des genres, quelque peu éclectique. Entre film d’initiation, comédie, drame sentimental et mauvais polar, on est ballotté dans la confusion des sentiments. Surtout quand la réalisation échoppe sur l´énigme policière. Difficile de croire à cette histoire de gros bras voulant régler son compte à cette petite française trop curieuse, fouineuse.

Mais ce Voyage en Arménie reste une quête initiatique, qui bouleverse tous préjugés. Fenêtre sur un pays post-soviétique ; porte entrouverte sur l´identité et l´altérité. Avant de refermer les deux, fermons les yeux pour s´imprégner de ce voyage.

Titre original : Le Voyage en Arménie

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Durée : 125 mn


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