Le Verdict (The Verdict)

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Peut-on dire qu’avec Le Verdict, Lumet effectue une sorte de retour aux sources ? En 1957, dans Douze hommes en colère, son premier film, il nous racontait comment une affaire apparemment classée pouvait s’avérer bien plus complexe que prévue, et comment l’opinion d’un jury était amenée à passer d’un extrême à l’autre. Le Verdict reprend […]

Peut-on dire qu’avec Le Verdict, Lumet effectue une sorte de retour aux sources ? En 1957, dans Douze hommes en colère, son premier film, il nous racontait comment une affaire apparemment classée pouvait s’avérer bien plus complexe que prévue, et comment l’opinion d’un jury était amenée à passer d’un extrême à l’autre. Le Verdict reprend pour cadre un procès, réservant lui aussi son lot de surprises.

Mais finalement, la comparaison s’arrête là. Le sublime Douze hommes en colère était un film d’une certaine hauteur réflexive, à la portée cognitive assez puissante. Il faisait l’éloge du doute, « le sel de la Raison », sans lequel toutes nos connaissances « pourrissent ». Il délivrait un message d’espoir, nous montrant comment la Raison pouvait bien conduire le comportement humain. Le Verdict, lui, n’a pas cette dimension réflexive. On pourrait le définir en comparaison au premier film de Lumet comme une diatribe sur le monde de la justice. Lumet substitue à une réflexion normative sur l’idéal de la Justice une constatation cynique, désabusée et parfois méprisante sur ce qu’est réellement le système judiciaire. Dans Douze hommes en colère, il nous disait ce qu’il fallait faire ; dans Le Verdict, il nous dit ce qui se fait. Il y a entre les deux films le même gouffre qu’entre Les Bas-fonds et Dodes’kaden chez Kurosawa. Le Verdict, ou la mise à mort des idéaux de Lumet…

En fait, c’est bien plus à Network que le film nous fait penser. Dans Network, Lumet nous faisait découvrir le monde de la télévision (qu’il connaît très bien puisqu’il y a évolué) à travers l’histoire d’un homme qui finit par littéralement imploser. Quelques années plus tard, avec Le Verdict, il reprend le même procédé. Le film est avant toute chose un portrait, amenant in fine à critiquer violemment l’univers dans lequel le protagoniste évolue.

L’homme dont il est question est un avocat déchu, pourtant promis à une belle carrière lors de ses débuts, mais qui a tout gâché ; la faute à des idéaux mal placés ; ah, ces idéaux, mieux vaut ne pas en avoir, pour lutter à armes égales contre tous les « requins » qui nagent dans les eaux basses du milieu des avocats…

La traversée du désert du héros, on ne la voit pas. Elle nous est suggérée. Il s’agit pour lui d’essayer de refaire surface et de se racheter une dignité après avoir sombré dans l’alcool suite à son licenciement et son divorce. L’affaire qui se présente est une occasion inespérée. Il s’investit dès lors personnellement dans le procès, refusant la fort intéressante proposition d’accord à l’amiable qui lui est présentée. Ce faisant, il prend d’énormes risques. C’est son ego qui lui dicte en fait sa conduite. Il tente bien d’invoquer certaines valeurs morales pour expliquer son refus d’accord à l’amiable, lors d’une séquence pour le moins troublante : on y voit Paul Newman exposer ses (beaux) arguments sans réelle conviction, sans vraiment réfléchir aux conséquences de ses actes, sans jamais prendre une seule fois la situation du point de vue de ses clients (et lors du dénouement, ce n’est pas le regard de ses clients qu’il croise, mais celui de Charlotte Rampling ; comme un symbole…). On comprend bien vite qu’il n’agit que par pur égocentrisme. Il a vu en cette affaire le moyen de se refaire une santé et ira jusqu’au bout de sa logique, pour lui et pour personne d’autre. Ce combat est le sien, celui de sa propre survie.

Dans Le Verdict, Lumet évite deux écueils de fort belle manière. La première tentation aurait été de succomber au manichéisme (ce qui lui ressemble bien mal de toute manière). Il est fort à parier que bien d’autres cinéastes auraient construit une histoire en partant d’une opposition simpliste entre le « petit avocat indépendant et malheureux » et les « puissants et sans scrupules grands cabinets d’avocats ». Lumet, lui, prend du recul pour nous imposer un regard froid, distant et somme toute objectif. Son « héros », autrefois bien naïf, a semble-t-il retenu les leçons du passé. « La fin justifie les moyens » ; pour gagner son procès, Newman adopte le même comportement que ses adversaires, n’hésitant pas à mentir, manipuler, dissimuler, influencer.

Pourtant, et c’est là le deuxième petit « miracle », on est pris d’une profonde et sincère sympathie pour ce personnage. Peut-être les idéalistes se retrouveront-ils plus que d’autres dans cette histoire. Ce n’est pas une victoire morale que le héros obtient, de morale il n’est jamais question dans le film. Ce n’est pas non plus une courageuse victoire sur le « destin ». On ne sait même pas si le terme de « victoire » convient. Il s’agit plutôt d’un soulagement, celui d’être encore en vie, d’avoir su résister tant bien que mal ; d’avoir pu, pendant un bref instant, relever la tête de l’eau. Le portrait ici dressé rejoint celui des héros qui ont entamé une perpétuelle lutte pour leur survie, lutte dont on connaît par avance le dénouement malgré quelques succès glanés ici ou là, malgré les soubresauts de vaines espérances.

Titre original : The Verdict

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Durée : 128 mn


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