Le Retour (Homecoming – Mervyn LeRoy, 1948)

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L’amour à la guerre.

La Seconde Guerre mondiale est terminée et c’est sans aucune effusion de joie que les engagés américains s’en retournent vers la mère patrie. Impassible, la silhouette du colonel Lee Johnson (Clark Gable) se détache d’un brouillard nocturne, tandis qu’un journaliste cherche à recueillir son témoignage :

« Pour ceux restés au foyer, c’est dur. Ils doivent vivre avec ceux qui reviennent. Ils doivent savoir ce que ceux qui reviennent ont souffert, pour changer ainsi. Parfois un être vous ouvre des horizons nouveaux. Cela vous est-il arrivé ?
 »

Si ces remarques ne sauraient briser le mutisme du colonel, elles nous ramènent quelques années plus tôt. Docteur de son état et époux comblé, Lee jouit en 1941 d’une situation des plus enviables. Lorsque les États-Unis entrent en guerre, il se porte volontaire et de chirurgien devient médecin de guerre quelque part sur le front africain. Pour camper ce médecin, Clark Gable semble tout trouvé tant sa trajectoire personnelle rappelle celle de son personnage. Engagé auprès de l’armée de l’air américaine, l’acteur a lui-même connu le basculement d’une posture d’homme reconnu à celle d’engagé volontaire, et c’est bien ce glissement qui semble intéresser Mervyn LeRoy. Alors que Gable s’engage afin de défendre les couleurs de son pays, Lee l’arriviste n’y voit là qu’une occasion de renforcer sa notoriété. Aussi le film s’intéresse finalement peu à la guerre, LeRoy préférant questionner ce que son déclenchement induit sur le quotidien en termes de séparation ou de prise de conscience existentielle. Les images des horreurs de la guerre sont ainsi peu nombreuses, quelques séquences se contentant de présenter le flux continu de blessés défilant sous les yeux exténués des médecins.

La guerre tue, certes, mais de manière plus directe pour Lee, elle l’éloigne de l’être aimé, le rapproche d’une jolie infirmière et lui fait réévaluer son existence antérieure. Passant finalement assez rapidement sur l’angoisse du combat, LeRoy scrute la relation unissant Lee à la bien nommée Snapshot (Lana Turner), la guerre apparaissant ainsi davantage comme prétexte à leur rapprochement. Tandis qu’une accalmie leur permet d’oublier l’apreté du labeur le temps d’un bain dans les ruines romaines, c’est un bombardement qui leur offre un premier vrai moment d’intimité. Chacun des personnages évolue ainsi au contact de l’autre, Lee s’ouvrant à une nouvelle conception de la vie, là où Snapshot perd peu à peu de son rigorisme.

 

 
 
 
Ce sont donc plus de trois années de guerre qui filent à toute vitesse, rythmées par quelques moments emblématiques de l’évolution de la relation entre Lee et Snapshot. Cet amour naissant, bien que prévisible, surprend par sa beauté et la délicatesse des scènes qui le dessinent. Peut-être plus encore que la prestation des acteurs, l’intérêt de leur jeu réside dans le travail effectué sur leur propre image. D’un côté l’assurance coutumière du beau Gable qui est battue en brèche, de l’autre Lana Turner, la "sweater girl", qui troque son pull pour un casque et un treillis. L’équilibre des forces est réussi, le couple marche à l’écran et cette volonté de combattre le mythe qu’incarne chacun des acteurs vient bousculer la trame classique amenant ces deux êtres de la haine à l’amour. Au fond, c’est la façon dont LeRoy façonne ses personnages qui est belle, son regard restant  toujours bienveillant, y compris envers Penny (Anne Baxter), la femme de Lee restée au pays.

Membre à distance de ce triangle amoureux, ses quelques apparitions viennent interrompre le rapprochement entre Lee et Snapshot. Ces incursions nous rappellent également que la guerre est tout aussi douloureuse au front qu’à l’arrière, touchant notamment les épouses que les engagés laissent au pays. Inquiète de la survie de son mari, autant que de celle de leur amour, Penny mène sa propre guerre. LeRoy n’a besoin que d’une scène pour magnifier ce combat. Recevant une photographie de l’équipe médicale, Penny cherche à mettre un visage sur cette Snapshot dont son mari ne cesse de lui parler. Ainsi, au milieu du groupe, si l’on ne voit effectivement qu’elle, jamais les yeux de Penny ne s’arrêteront sur la véritable Snapshot, comme pour mieux se convaincre qu’elle ne peut être aussi belle. Son combat est aussi simple que cette séquence : c’est celui d’une femme voulant garder l’espoir de retrouver son époux tel qu’elle l’a quitté, amoureux.

   
 
  
Devant cette femme attendant son mari, on songe évidemment à L’Odyssée d’Homère, et ce d’autant plus que le colonel Lee se prénomme Ulysses. Pourtant dans Le Retour, retrouver le foyer n’est jamais une finalité, et si Lee rentre chez lui, c’est simplement que la guerre est finie. Ce retour interroge la notion même de foyer après plusieurs années passées à la guerre. Sa place est-elle réellement auprès de son épouse ? S’il l’avait pu, serait-il resté auprès de Snapshot ? Lee doit continuer de vivre avec ces questions, entouré de gens lui demandant seulement d’être comme avant. Le baiser final a ainsi un goût amer : alors que Lee s’abandonne dans les bras de sa femme, on se rappelle que quelques mois plus tôt, c’est à une autre qu’il déclarait son amour.

Titre original : Homecoming

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Durée : 115 mn


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