Le Grand Silence

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1968, le western européen a explosé depuis le début des années 60 grâce a la « trilogie des dollars » de Sergio Leone. Depuis, de nombreux réalisateurs transalpins se sont engouffrés dans ce genre devenu lucratif et populaire.

Bien sûr l’ensemble des films produits la qualité ne sera pas toujours au rendez-vous, mais derrière l’ombre imposante de Leone, plusieurs réalisateurs sauront tirer leur épingle du jeu. Notamment Sergio Corbucci, qui avec des films comme Django ou Navajo Joe, tous réalisés en 1962, réussira a développer un style et des thématiques propres.

Dès le début du métrage, Corbucci nous prend à contre-pied et marque sa différence par rapport aux convenances du genre. On s’attendait à retrouver le soleil écrasant et les décors d’Almeria : Corbucci nous noie dans de vastes étendues enneigées. Silence (Jean-Louis Trintignant) apparaît au milieu de l’écran blanc tel un fantôme surgissant de la brume. Un rapide zoom arrière nous le montre à cheval dans une plaine entourée de montagnes. Ici, le décor écrase l’homme, la nature est un ennemi : la neige aveugle, le vent gèle les corps et le froid enraye les armes. La formule du western spaghetti classique est elle aussi enrayée. Corbucci, dans la lignée de ses précédents westerns part dans la direction inverse du genre. Bien sûr on y retrouve des figures classiques : le justicier solitaire, le sheriff, le banquier fourbe, les mercenaires, les prostituées du saloon et évidemment le tueur sans foi ni loi, Némésis du héros.

 

 

Mais ici « l’ordre naturel » est bouleversé, le réalisateur semble davantage prêter attention au personnage de Tigrero (l’excentrique mais génial Klaus Kinski) qu’à son personnage principal. Tigrero a beau être un personnage violent et immoral, Corbucci nous le montre étonnamment calme, lucide sur son statut de « méchant » comme lors de ce moment où, juste après avoir obtenu une information et abattu un homme, il note méticuleusement celle-ci dans un petit calepin. Ou bien lors de cet instant d’ultime ironie où, aux côtes du nouveau sheriff, Burnett (Frank Wolff), il se plaint de l’absence de morale des fermiers qu’il massacre.

 

 

Face à lui, Silence paraît terne voire presque naïf, sentiment renforcé par son handicap. Ne pouvant communiquer avec les autres, ne pouvant exprimer ses sentiments, Silence en est presque à subir l’intrigue plutôt qu’à l’initier ou à y réagir. Il traverse le film, mutique, ne laissant rien transparaître ; l’un des rares moments d’empathie que l’on éprouvera pour le personnage interviendra lors d’un flashback revenant sur l’origine de son handicap. Un handicap symbolisé par une cicatrice sur le cou et trace physique de son humanité disparue. Malgré une romance naissante avec la veuve d’un fermier abattu par Tigrero, Silence restera la même enveloppe vide insensible et mystérieuse jusqu’à la fin. Une fin atypique, fruit de la démarche de Corbucci, qui culmine dans le face à face entre Silence et Tigrero pour aboutir à une fin des plus nihilistes possibles. À tel point d’ailleurs que les producteurs avaient demandé à Corbucci de retourner ce final de manière plus positive. Corbucci s’est exécuté mais a délibérément sabordé la séquence, tournant et montant la scène afin de la rendre inutilisable et complétement décalée par rapport au reste du film.

Ne faisant pas les choses à moitié, Corbucci alla même jusqu’à insérer un gros plan sur le gant en métal de Silence, laissant deviner à la caméra, aux producteurs, un énorme doigt d’honneur. On préférera la fin originelle (et qui a bien été retenue pour le film) froide et sans concessions, qui finit de classer Le Grand Silence à part dans le panorama du western italien.

Titre original : Il Grande Silenzio

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Durée : 95 mn


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