Le génocide rwandais : de la douleur indifférente

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Deux nouveaux films sortent en ce mois d’octobre 2009 sur le génocide rwandais. Munyurangabo de Lee Isaac Chung ouvre le bal ce 7 octobre. Il sera suivi le 28 par Le Jour où Dieu est parti en voyage de Philippe Van Leeuw.

Ces films sont les derniers d’une liste d’œuvres consacrées à l’un des plus importants génocides du XXIe siècle. Chacune d’elle a une approche unique du drame rwandais. Mais ces films ont un point commun qui tient aux caractéristiques intrinsèques de ce génocide. L’une d’elles est l’indifférence de la communauté internationale qui a assisté au massacre, à partir du 6 avril 1994 et durant trois mois, de quelques 800 000 Tutsis et Hutus modérés. La fiction Shooting Dogs et le documentaire Kigali, des images contre un massacre font de ce permis de tuer laissé aux extrémistes Hutus la trame principale de leur long métrage. Radioscopie cinématographique d’un génocide. Episode 1.

Munyurangabo de Lee Isaac Chung et Le Jour où Dieu est parti en voyage de Philippe Van Leeuw, en salles respectivement le 7 et le 28 octobre en France, marquent le retour du génocide rwandais sur grand écran. Les drames nourrissant comme on sait le cinéma, le génocide de 1994 est un sujet qui attire, notamment depuis 2001. Nick Hughes sera le premier à le montrer sur grand écran avec 100 days. Le Rwanda intéressera de nouveau le septième art quelques années plus tard avec pas moins de trois longs métrages. En 2005, la fiction Hotel Rwanda de Terry George, inspirée de la vie de Paul Rusesabagina, gérant de l’Hôtel des Mille Collines, retrace les actes héroïques de ce Rwandais dont l’hôtel accueillit plus d’un millier de réfugiés Tutsis. Shooting Dogs (2006) de Michael Caton-Jones, revient lui aussi sur les événements qui se sont déroulés dans un refuge, l’Ecole technique officielle (ETO). Durant cinq jours, plus de 2 000 personnes seront maintenues hors de portée des milices Interahamwe avant d’être massacrées. Pour sa part, le documentaire de Jean-Christophe Klotz, Kigali, des images contre un massacre, sorti en novembre 2006, est une démonstration de l’impuissance des médias qui ont retransmis en direct les images du génocide. Ces deux dernières productions s’attellent à mettre en images le laisser-faire de la Communauté Internationale face aux massacres du Rwanda. Du simple expatrié aux gouvernements, en passant par la force d’interposition des Nations unies (Minuar) présentes dans ce pays après la signature des Accords d’Arusha en 1993 (1) et les forces étrangères déployées plus tard, personne n’agira vraiment pour aider les victimes rwandaises. À l’exception de quelques religieux.

Pour illustrer l’attitude de la Communauté Internationale, Jean-Christophe Klotz et Michael Caton-Jones ont choisi cette entrée. Dans Shooting Dogs, le père Christopher, religieux britannique responsable de l’ETO se bat, entre le 7 avril et le 11 avril 1994, pour sauver ses réfugiés. À ses côtés, un jeune professeur, Joe, et des soldats belges des Nations unies. Joe, le candide, veut se rendre utile. D’autant qu’il s’est pris d’affection pour une de ses jeunes élèves, Marie la Tutsie, douée pour la course. Il veut alerter la presse pour qu’elle révèle, à son tour, l’horreur et l’ampleur des massacres auxquels il assiste. Pour cela, il fait appel à une amie et compatriote journaliste à la télévision britannique, la BBC. Elle filmera l’impuissance d’un capitaine des Nations Unies, limité par les ordres de sa hiérarchie et des États qui les commandent. Elle sera le témoin du débarquement des forces françaises, qui ne seront préoccupées que par le sort des expatriés. Des expatriés qui, arrivés à l’ETO, ne se mélangeront jamais aux pauvres réfugiés avec lesquels ils partageront pourtant, du moins un temps, la même frayeur : celle de mourir. Mais point d’empathie, la journaliste britannique sait pourquoi. À Sarajevo, où elle a couvert la guerre civile, la jeune femme l’a ressentie immédiatement en voyant des femmes violées et massacrées. Au Rwanda, l’identification est plus difficile, reconnaît-elle : les Rwandais sont des « Africains », dont le sort indiffère.

Contrairement à ses compatriotes, Joe s’est impliqué. Mais jamais, il n’aurait imaginé que sa B.A. africaine le conduirait à vivre un tel carnage. Une tuerie perpétrée par des bourreaux chanteurs, armés de machettes et de gourdins, et enchantés de faire « leur travail ». Joe ne se doutait pas non plus qu’il lui faudrait faire montre de tant de courage. Et que finalement, il en manquerait.

Michael Caton-Jones choisit délibérément la fiction pour parler du génocide rwandais. « Je n’ai jamais envisagé un documentaire, cela me semblait trop contraignant. En revanche, la fiction me permettait de toucher le spectateur, de l’émouvoir et tenter de lui faire comprendre l’horreur de ce moment », explique le réalisateur britannique. Le scénario de Shooting dogs est inspiré du vécu et des témoignages du scénariste et producteur du film, David Belton, alors journaliste à la BBC. Fort de son expérience au Rwanda, le journaliste reporter d’images français, Jean-Christophe Klotz choisit pour sa part la contrainte du documentaire, qui n’en est pas une pour lui : c’est le lieu du témoignage.

En mai 1994, Jean-Christophe Klotz suit dans ce pays Bernard Kouchner, alors médiateur des Nations Unies, auprès de la rébellion du Front Patriotique Rwandais (FPR). Il rencontre son leader, l’actuel président rwandais, Paul Kagamé. Le génocide bat son plein et le journaliste, dont la mission est d’informer, tente d’en filmer les preuves. Jean-Christophe Klotz se rend dans la paroisse du père Blanchard à Kigali, la capitale rwandaise. Le lieu de culte est devenu le refuge de quelques Tutsis. Il y est blessé au moment où des miliciens Hutus tentent de pénétrer dans la paroisse. Le journaliste est évacué. Il ne reviendra dans le pays que dix ans plus tard, en juin 2004, afin de rechercher les enfants qu’il avait filmés dans la paroisse. Le drame est reconstitué à travers la parole des témoins. Cette plongée dans le passé est l’occasion pour le journaliste de s’interroger sur le rôle des médias et leur impuissance, surtout pendant le génocide rwandais. « J’ai raconté cette histoire de l’intérieur, du point de vue du témoin, ce papillon face à la flamme : trop près de la réalité, on se brûle. Trop loin, on reste irrémédiablement extérieur », analyse Jean-Christophe Klotz. Face à la caméra, Bernard Kouchner reconnaîtra à mots couverts que la France n’a pas agi quand elle aurait dû. L’opération française « Turquoise », qui interviendra seulement à la fin du génocide, sera accusée d’avoir permis la fuite des génocidaires.

Shooting dogs a voulu jouer la carte de l’émotion en s’inspirant de faits réels. La fiction s’inscrit dans l’instant des événements qui font basculer en quelques secondes le destin des individus. Kigali, des images contre un massacre a préféré miser sur l’émotion du réel tout en prenant du recul. Le documentaire déroule le temps. Instant et temps de l’indifférence produisent de semblables effets, avec une efficacité variable. Shooting dogs est un film plat qui ne doit son salut qu’à son sujet et à une réalisation parfaitement maîtrisée. Kigali a le relief que procure la diffusion d’informations inédites, bien que la maîtrise soit moins au rendez-vous. Néanmoins, ces deux œuvres aboutissent à une conclusion sans équivoque. La pénible sensation psychologique – la douleur – ressentie par les témoins ou ceux qui ont été informés du génocide rwandais n’était pas assez importante pour qu’ils aient le réflexe de s’y opposer. Avec le Rwanda, le monde a expérimenté la douleur indifférente. En exploitant sa dramaturgie, le cinéma l’a rendue plus insoutenable.

(1) Ils mettent fin à la guerre civile de 1993 qui a opposé le régime hutu du président Juvénal Habyarimana, dont l’assassinat le 6 avril 1994 donne le coup d’envoi du génocide, et la rébellion tutsie du Front patriotique rwandais (FPR).

À lire ici, l’épisode 2.


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