Le Chant des oiseaux (El Cant dels ocells)

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Radicalisant encore son travail de soustraction dramaturgique, l’auteur du fort remarqué « Honor de Cavalleria » fait pour ainsi dire preuve d’un égoïsme d’artiste quelque peu problématique.

Difficilement contestables, la singularité de l’objet, la volonté d’Albert Serra, en droite ligne de son précédent – et très remarqué – Honor de cavalleria (2006), d’aborder le mythe (littéraire, biblique) en un geste hautement minimaliste, ne comblent pourtant jamais l’absence, dans ce cinéma, de la condition première de toute « rencontre » : une ouverture, une quête – même implicite – de regard. Dire que ce Chant des oiseaux semble plutôt pas mal se débrouiller sans nous est un euphémisme, si l’on considère que rien ne donne ici jamais la sensation d’un quelconque lien, que la manifeste recherche de restitution d’une certaine caractéristique du cinéma moderne (le seul, le vrai : celui des sixties, tout en bifurcations pasolino-antonioniennes… le trouble philosophique et existentiel en moins), apparaît bien vite n’être davantage qu’une assez vaine posture d’« artiste », ne donnant corps à aucune curiosité durable.

Que l’on s’entende bien : en l’état, le second long-métrage d’Albert Serra n’est pas à proprement parler « raté », et serait même, pris pour ce qu’il aspire sans doute à être (une lointaine représentation des errances des Rois mages et de l’attente – très littérale – de leur arrivée annoncée par Joseph, Marie, et l’enfant Jésus), une expérimentation tout à fait aboutie autour de la question d’un usage topographique vraiment pertinent, dans un paysage cinématographique majoritairement soumis au diktat du tout dramaturgique. Ne vouloir offrir au regard qu’une succession de plans fixes, exposant le tracé limpide de la balade des bienheureux sur les dunes d’un paysage avantagé comme rarement, est un choix. Ne donner accès à l’ouïe qu’aux quelques balbutiements du trio (dont deux membres sont par ailleurs, regardez bien, les interprètes des Don Quichotte et Sancho Pança du précédent film), sans se soucier plus que nécessaire (pour une œuvre ne recherchant nulle « situation » fictionnelle saisissable, s’entend) de l’intelligibilité, la teneur de ces quelques mots, ne manque pas d’amuser.

Reste que constater l’audace d’un positionnement esthétique, relever attentivement les mécanismes d’une soustraction narrative, ne suffit pas toujours à attester de la portée d’une proposition cinématographique. Semblable conviction de style atteint généralement chez les Straub, qui figurent semble-t-il parmi les influences majeures d’Albert Serra, une dimension politique – et souvent émotionnelle – assez vertigineuse, si l’on considère que chez eux, choisir une forme correspond à donner à l’idée la garantie d’une « juste » incarnation, d’une infaillible articulation. De même Pedro Costa, dont l’installation radicale dans une quête d’allègement du dispositif ciné, par le biais du numérique, n’interdit pas l’identification d’une fiction, même réduite à son plus simple appareil (deux êtres qui parlent, dans une même pièce, jusqu’à épuisement). L’ennui, devant le Chant des oiseaux, réside un peu dans la difficulté d’y saisir ce que manifestement il se refuse même à insinuer : l’idée qu’à ce jeu de pure surface pourrait s’adjoindre,  au passage, quelque  matérialisation, une aspérité.

Film sans quête, divagation sans mirage, le nouvel opus de la jeune filmographie de l’Espagnol Albert Serra n’est prometteur d’aucune recherche. On affirmerait presque, à regarder attentivement ce cinéma, que les notions de « recherche », de « mouvement », de « découverte » résonneraient ici comme vains soucis d’arrière-garde. Seulement, revenons-y, la sortie tardive mais essentielle, il y a deux semaines, du Miroir magique de Manoel de Oliveira fut – demeure – l’occasion de constater que la nouveauté, au cinéma, dans la vie, partout, n’est pas tant une question d’affirmation revendiquée de singularité. Elle résiderait plutôt dans le bonheur, la joie de retrouver de jour en jour, dans l’inquiète mais confiante pratique d’une méthode, la franche conviction d’un geste de toujours, l’ivresse d’une première fois, la provisoire mais inestimable illusion d’un perpétuel recommencement.

Titre original : El Cant dels ocells

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Durée : 98 mn


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