Quand Kaouther Ben Hania s’éloigne de ces considérations é(s)th(ét)iques sur le réel, pour faire dans le film à thèse, on perd en profondeur et en unité ce que l’on gagne en ironie, mais aussi en maladresse de discours. La figure du Challat cristallise les problématiques sociétales de l’époque dans une région du monde plus que jamais confrontée à la crise de la modernité, en particulier dans la place accordée à la femme et la question du corps comme enjeu politique. Dès lors, un simple fait divers se fait symbole, et l’enquête sur un événement singulier devient le vecteur d’un portrait de société. La cinéaste s’attelle autant à retrouver le supposé coupable (quels sont ses motifs, sa personnalité, ses conditions de vie ?) qu’à recueillir la parole des victimes ou à analyser l’impact du fait divers sur la société. En un paradoxe fameux, naît de cette forme très souple une capacité à faire émerger de l’enquête, donc de la confrontation avec le réel, des situations proprement édifiantes, qui confinent à la plus totale absurdité, jonglant sur un fil ténu qui sépare l’horreur de l’humour. À ce titre, la cinéaste ne manque pas de souligner, tout au long d’un cheminement narratif imprévisible, l’incongruité d’un certain archaïsme patriarcal à l’heure de l’égalité des droits. Ainsi, les actes du Challat ne manquent pas de fervents admirateurs à l’origine de projets des plus douteux (un jeu vidéo où l’objectif est de lacérer le plus de jeunes femmes aux tenues "incorrectes", un appareil d’analyse d’urine qui rend compte du degré de pureté sexuelle d’une jeune femme). Le discours ouvertement féministe, bien que légitime, reste cependant trop à sens unique pour convaincre : au-delà du constat accablant, il manque une certaine prise de recul, susceptible d’interroger les agissements de chacun dans toute leur complexité. Si les parti pris de Kaouther Ben Hania ne tiennent pas sur la durée, son Challat de Tunis reste un objet hybride et inventif tout à fait intéressant.