L’Aurore (Sunrise : A song of Two Humans – 1927)

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Dans cette Aurore, tout n’est pas encore gâché, saccagé, on respire encore, on n’a pas tout perdu. La ville ne brûle pas (encore), les innocents ne réussissent pas à s’entretuer. L’on n’assistera à aucune agonie dans un coin du jour qui se lève…

Chef-d’œuvre du cinéma muet, l’Aurore de Murnau met en scène un homme et une femme dont l’amour subit les aléas d’une vie moderne à laquelle ils ne sont pas préparés. L’expressionnisme allemand y rencontre une forme de réalisme poétique au croisement de deux mondes qui se livrent à un cruel duel symbolique.

Entre le monde quelque peu imaginaire d’une apparente douceur et insouciance – au moins au début… –, sorte d’Eden où un homme et une femme « mariés » peuvent quêter le bonheur pour peu qu’ils sachent résister aux nombreuses sirènes de la modernité… et… plus loin (mais pas si loin), le monde de la ville, rapide, séducteur, destructeur, dont les femmes fatales ne sont pas le moindre des dangers… La mise en image du dépassement des épreuves sera vécue comme autant de rites initiatiques, sortes de signes avant-coureurs de Tabu, a story of the south seas, le film suivant de Murnau, particulièrement audacieux au point d’être censuré aux États-Unis pour la grâce et la sensualité trop prononcée de ses images rituelles. Ainsi : du côté de la Ville, l’ambivalence de ses démones tentatrices et de ses lieux d’amusement facilitant l’obtention du Pardon, et parallèlement la menace nette et claire de sa civilisation mécanisée et rapide qui prend le pas à l’époque de Murnau. Et du côté de la Nature, savoir plonger dans ses tempêtes et en ressurgir selon une esthétique du miracle qui ne laissera pas indifférent les plus croyants, que ce soient ceux qui adhèrent à la magie du cinéma, ou ceux qui n’ont jamais douté de l’infinie bonté de la « Providence ».


 

L’Aurore est ainsi une ode à l’amour et à l’énergie qui résident en l’Homme, à peine douze ans avant le déclenchement de la seconde guerre mondiale, face aux dangers d’une nature qui conserve sa violence et ses mystères. Charybde de la Ville et Scylla de la Nature. Sur un plan plus technique, Georges Sadoul souligne avec justesse « l’énergie froide de Murnau, les décors, le jeu des acteurs dans une constante volonté de composition », tandis que Lotte Eisner évoque « son sens souverain des plans et des mouvements de la caméra, des éclairages et des valeurs de ton, sa maîtrise de la composition et du rythme des images ». Cette œuvre eut carte blanche d’Hollywood : une rareté.

L’Amérique des majors
est alors aux pieds de ce réalisateur venu tout droit d’Allemagne, et tous les moyens du cinéma moderne seront utilisés sans restrictions. La note sera lourde, et Hollywood aura du mal à lui pardonner l’échec commercial qui s’ensuivit, peu sensible à la réussite artistique. Tabu, bien moins doté en fonds, sera l’unique et dernier film à la suite de Sunrise. Si ce film de Murnau est habituellement considéré comme son grand chef d’œuvre (malgré la renommée et l’aura de mystère qui entoure son film suivant, une pure merveille du monde du cinéma documentaire : Tabu, qu’il avait initié avec Robert Flaherty), il est possible que pour se rendre compte de la profonde beauté de l’Aurore, couper le son soit une nécessité vitale.


 

Ainsi, paradoxalement, si les morceaux de classique choisis pour Tabu sur des scènes de danses primitives gagnent une dimension étrange, décalée, qui met en valeur l’absurde et merveilleuse rencontre entre le cinéma moderne et les rites ancestraux, les morceaux orchestrés pour Sunrise semblent faire double emploi avec l’énergie vitale et musicale dégagée par la mise en scène. Différentes orchestrations  purent être tentées, mais l’accompagnement proposé peut avoir été plus sensible aux « changements des temps » que la magnifique force expressive mise en scène par Murnau.

Titre original : Sunrise, a song of two humans

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Durée : 115 mn


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