L’amour est un crime parfait

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La farce existentielle a assez duré ?

Le cinéma des frères Larrieu s’est toujours voulu gentiment provocateur, bousculant légèrement les consciences pour, sous couvert d’un réalisme illusoire, explorer ce qui s’explique par la seule logique cartésienne. De situations extrêmes (la fin du monde dans Les Derniers Jours du monde, 2009) en dérèglements plus quotidiens (le tarissement et le renouvellement du désir dans Peindre ou faire l’amour, 2005), un fil court dans leur filmographie qui vient singulièrement ou spectaculairement désarçonner la vie de personnages si ce n’est accomplis du moins installés. La surprise vient donc, dans ce cinquième film, non pas des directions choisies par les deux frères, mais du ratage le plus total de l’entreprise. L’Amour est un crime parfait a pourtant bien des atouts dans sa manche. Le désert neigeux de la Suisse et l’architecture fabuleuse de l’agence Sanaa pour l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne qui servent de cadre à une bonne partie du film. Une bonne palette d’acteurs au cordeau ensuite. Mais, le film reste en plan avec une histoire balourde dont il ne tire même pas partie.

Marc (Mathieu Amalric) est un professeur de littérature à l’université dont la position est fragilisée par ses trop nombreuses aventures avec ses étudiantes, dont Sara Forestier formidable en adjuvante insupportable et inattendue. Manque de chance, la dernière avec laquelle il vient de coucher a justement disparu. Entre des relations tendues avec ses collègues (Denis Podalydès égal à lui-même), une sœur bibliothécaire aussi torride que guindée (Karin Viard), un inspecteur de police aux basques et une Maïwenn en vamp atone toute en cheveux et en châles noirs, sa vie devient légèrement compliquée à gérer. Et si par-dessus tout, il n’était pas étranger à la disparition de l’étudiante ? Et que fait-il la nuit dehors? Yeti, yeti pas ?

 

Du roman Incidences de Philippe Djian (2010), les Larrieu ont tiré ce qu’ils aiment appeler un « thriller amoureux », soit un polar qui n’apparaît qu’à partir de l’histoire d’amour qui le traverse. Le travail d’adaptation est important, notamment pour basculer du style très dialogué de Djian vers l’action filmée. Mais le film semble se prendre les pieds dans les méandres d’une histoire à tiroirs qu’il ne sait à quelle distance approcher. L’amour est un crime parfait présente d’abord un monde calme à la perfection lisse. Sous les dehors du conte (le chalet, la neige, la fratrie isolée…) et de quelques traits surréalistes (des loups la nuit, une séquence de L’Âge d’or de Luis Buñuel, 1930) manifestement là uniquement pour le plaisir des réalisateurs, il dresse un univers fait d’images et de faux-semblants (Annie la blonde/Anna la brune), une sorte de vernis suisse qu’il va falloir faire craquer. Le film entier est contenu et régi par le personnage de Marc. Séducteur et hâbleur, il parle pour détourner l’attention, pour dire et tendre vers autre chose que la simple réalité immédiate. Sauf que dès qu’il s’agit de passer au-delà les apparences, le film déjà branlant s’effondre en révélant les dessous d’une histoire grotesque, peut-être plus dans sa mise en place que dans sa finalité. Après un faux suspense guère convaincant, le polar final se révèle digne d’une série B ou d’un soap. On sent, et c’est peut-être la première fois, les Larrieu coincés dans leur regard sur leur matériau. La farce existentielle ne trouve pas l’équilibre entre une approche tout à fait sérieuse du sujet envisagé et la distance finalement pas si malicieuse de son traitement.

 

Entre fausses pistes avortées et le psychologisme bouffon de Djian, une fois la baudruche dégonflée, L’Amour est un crime parfait ne parvient même pas à susciter la curiosité. Le tout dans une dimension largement caricaturale, mais sans humour. Reste les facéties toujours impressionnantes de Sara Forestier. C’est bien maigre.
 

Titre original : L'Amour est un crime parfait

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Durée : 111 mn


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