La trilogie Harry Palmer

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Après avoir été révélé dans « Zoulou » et adoubé par ses pairs avec « Alfie », Michael Caine se devait de gagner les faveurs du grand public en incarnant un héros populaire. Ce sera chose faite à travers la trilogie d´espionnage Harry Palmer.

Adapté d’une série de roman de Len Deighton, la trilogie consacrée au personnage de Harry Palmer a marqué l’imagerie du film d’espionnage des sixties. Tout à la fois à contre courant et classique du genre, cette série de films symbolise ses mutations à venir tout en obéissant à ses motifs les plus identifiables. Pour Michael Caine, ce sera le rôle qui établira définitivement son aura de star, tout en maintenant la personnalité traversée dans d’autres films, pour ce qui est indéniablement l’autre espion anglais des sixties.

Ipcress Danger immédiat (1965) : l’anti James Bond

En 1967, Harry Saltzman décide de s’émanciper de la lourde logistique de la série des James Bond qu’il coproduit avec Albert Broccoli (à qui il laissera les commandes lorsqu’il revendra les droits en 1975 après L’Homme au pistolet d’or). Il emmène dans son sillage pour ce projet parallèle quelques-uns des grands acteurs de la réussite des premiers James Bond : le compositeur John Barry, le décorateur Ken Adam ou encore le monteur Peter Hunt (futur réalisateur d’un des plus fameux Bond, Au service secret de sa Majesté). Pourtant ce qui leur sera demandé sera volontairement aux antipodes d’un James Bond.
 

Dans une gare de Londres, un prestigieux scientifique se fait enlever sous les yeux de l’agent des services secrets qui le surveillait et que l’on retrouve assassiné sur le quai. Pour le remplacer, le Colonel Ross (Guy Doleman) des services secrets militaires britanniques, décide de redonner sa chance à son agent Harry Palmer (Michael Cain) et de l’affecter au service de contre espionnage du Major Dalby (Nigel Green). Harry Palmer était jusque là affecté à des planques minables suite à son insubordination. Calme, flegmatique mais très observateur, il parvient rapidement à remonter jusqu’à Erik Ashley Grantby (Frank Gatliff), le chef d’un réseau mafieux, et à lui proposer le rachat du scientifique…

Par cette volonté de tous les instants de s’éloigner du tombeur amateur de vodka martini, Ipcress est un pur ovni, même en comparaison des films d’espionnage plus conventionnels. La nature de Harry Palmer s’avère atypique en tout point, que ce soit son background peu glorieux ou son look austère, le tout affirmé dès sa première apparition peu glamour où on le voit préparant son petit déjeuner. Même les caractéristiques qui rendraient un Bond charismatique sont abordées de manière décalée, telle cette bagarre en pleine rue où il se bat comme le premier voyou venu, sans parler de sa manière de reluquer les femmes comme un gros rustre, loin de la séduction animale d’un Bond.

 

Le cadre londonien grisâtre, les services secrets anglais dépeints comme bureaucratiques et austères et l’enquête volontairement laborieuse concourent à un manque de panache et d’exotisme. Loin d’ennuyer, ce parti pris contribue à une pesante ambiance paranoïaque aux rebondissements surprenants jusqu’à la dernière seconde. Les velléités de réalisme qu’on a cru percevoir tournent court quand arrive l’inattendue résolution finale d’une trame proche d’Un crime dans la tête de Frankenheimer, autre grand film d’espionnage de l’époque. Sidney J. Furie (qui malheureusement pour lui, semble plus passer à la postérité pour sa médiocre saga des Aigle de Fer) délivre une réalisation incroyablement moderne et expérimentale, multipliant les cadrages et plans alambiqués. Le travail sur l’image est constamment déstabilisant comme lorsqu’il prend le point de vue de la vision floue de Palmer sans lunettes lors de la conférence. Ni trop réaliste avec son intrigue fantaisiste, ni réellement « pop » et léger par sa froideur et sa retenue, Ipcress fit école dans le cinéma d’espionnage et installa définitivement Michael Caine au sommet.

Mes funérailles à Berlin (1966) : classicisme

Le colonel Stok, un agent des services soviétiques responsable de la sécurité du Mur de Berlin, semble vouloir passer à l’Ouest, mais les preuves sont contradictoires. Stok demande aux Britanniques de prendre en charge l’opération et demande à ce que l’un de leurs agents, Harry Palmer, le fasse sortir clandestinement de RDA.

 

Ce deuxième volet de la trilogie Harry Palmer, Mes Funérailles à Berlin constitue un parfait équilibre entre la paranoïa du premier Ipcress Danger immédiat et la folie furieuse du troisième, Un cerveau d’un milliard de dollars, orchestré par Ken Russell. C’est celui des trois qui donne le plus dans l’espionnage classique ,à travers une intrigue sur fond de passage à l’Ouest ,d’anciens nazis et de trésor de guerre. On pouvait craindre un épisode moyen avec la présence derrière la caméra de Guy Hamilton. Ce dernier fut responsable d’un bon James Bond par accident avec Goldfinger (Terence Young en avait assuré la pré-production et le découpage avant de se faire renvoyer par les Broccoli au moment de tourner), avant de se révéler dans toute sa médiocrité lors des trois autres épisodes qu’il fera, entre le mollasson Les Diamants sont éternels et les nullissimes Vivre et laisser mourir et L’Homme au pistolet d’or. Ici, bien entouré par l’équipe technique du premier film (Ken Adam à nouveau aux décors, Otto Heller à la photo, ne manque que John Barry à la partition) et malgré une mise en scène assez classique et neutre (surtout en regard des expérimentations de Furie), Hamilton offre là son meilleur film. L’intrigue dépeint la mission de Palmer destinée à faire passer à l’Ouest un général russe (Oskar Homolka qui revient dans l’épisode suivant) menacé par les multiples évasions récentes de Berlin Est.
 
Evidemment, ce point de départ nous emmène bien plus loin, à coups de rebondissements, pièges et chausse-trappes divers remarquablement orchestrés. Pourtant, tout cela nous est narré sur un tempo nonchalant, marqué par la personnalité de Michael Caine. Les aspect atypiques du premier film se retrouvent ici entre la description très terre à terre des services secrets (le service fausse identité quasi artisanal) ou un Harry Palmer toujours plus désabusé. Alors que sous la décontraction d’un Bond, un vrai patriote demeure toujours, Palmer lui, se révèle juste un professionnel qui effectue des missions en rechignant (la fin d’Ipcress l’a mis en position de faiblesse face au service et il récolte divers sales boulots) et sans passion. Son ingéniosité n’en est que mieux soulignée et il faut attendre les dix dernières minutes pour un semblant de scène d’action. Sinon, tout le film est une immense partie stratégique entre les services soviétiques, anglais et israéliens dont les enjeux se dévoilent peu à peu. L’humour pince froid est omniprésent avec un Caine impérial, que ce soit face aux agents berlinois outrés de le voir recruter les plus grands escrocs de la ville pour ses tractations, ou ce savoureux moment où Palmer a cet échange fort spirituel avec une créature au décolleté à la profondeur abyssale.

Elle : You’re from England ? I love England !
Palmer (le regard concupiscent) : And England loves you !

Les acquis et innovations d’Ipcress se fondent donc dans un aspect plus conventionnel sans être désagréable, avant que Ken Russell ne fasse tout voler en éclats avec l’épisode suivant totalement azimuté.


Un cerveau d’un milliard de dollars (1967) : folie furieuse

 

Harry Palmer se retrouve mêlé à un complot visant à renverser le communisme avec l’aide d’un superordinateur.

Cette ultime aventure est vraiment à part dans la saga, et clairement plus sous l’influence de son contexte. L’an dernier dans notre dossier Comédie pop, nous avions vu comme l’exubérance des James Bond avait contaminé toutes les productions d’espionnage du moment comme dans Plus féroces que les mâles. Si l’on ajoute à cela le curieux choix de cet agité de Ken Russell (Les Diables, Tommy, Gothic) à la réalisation, le cocktail est détonant. Le film débute comme un Harry Palmer typique pour finir dans la folie pure, caractéristique des œuvres de Ken Russell. Un nouvelle fois, notre héros est contraint et forcé de reprendre du service et est parallèlement contacté par une mystérieuse organisation pour effectuer une livraison inconnue en Finlande.
 

Même lorsque la narration se fait encore classique, Russell accumule progressivement les éléments abracadabrantesques dans les décors (l’antre de Karaak truffée de toiles érotiques) où les personnages rencontrés (le Front de Libération de Lettonie, véritable nid d’incapables exaltés) avant que le tout parte définitivement en vrille. Ed Begley incarne un méchant extraordinaire avec cet anticommuniste fanatique dont le plan n’est rien de moins que d’envahir l’Union soviétique. Si le film cède pour le coup à la grandiloquence des James Bond (la forteresse monumentale de Begley, le pitch plus extravagant que les premiers films), le grain de folie de Russell rend l’ensemble inoubliable tel ce final hommage au Alexandre Nevski d’Eisenstein (dont on entend brièvement la musique) où des centaines de tanks traversent un lac gelé mené par un Begley survolté. Michael Caine, impeccable, est ainsi légèrement plus en retrait et l’esprit de la série avec, dominé par la personnalité de Russell dont la folie s’exprime davantage dans les situations que dans la mise en scène (il se lâchera bien plus dans ses films à venir), Furie étant intouchable sur le premier film. On notera un casting étonnant, typique des productions internationales de l’époque où Françoise Dorléac (en agent double adepte de la pointe acérée) côtoie un Karl Malden retors à souhait.

La série en restera là pour un temps, avant que Michael Caine ne reprenne bien plus tard le rôle de Harry Palmer à deux reprises dans les années 90 avec Bullet to Beijing et Midnight at Saint Petersburg. Quoiqu’il en soit, la trilogie originale, hors normes et paradoxalement dans la pure mouvance de l’époque, aura marqué de son emprunte le cinéma anglais des sixties et consacré Michael Caine superstar.

 


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