La Soledad

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Tout en distance, parfois imprenable, La Soledad n’en demeure pas moins la cohérente proposition d’un cinéaste avant tout soucieux de la question du « bon » regard…

Sortie le 11 juin

Beau film, La Soledad n’en demeure pas moins une expérience assez éprouvante, requérant une attention peut-être excessive – mais finalement joliment récompensée – à la moindre strate, la moindre parcelle de situations alignées en des plans d’une fixité sans appel. Tout se donne ou se donnera, c’est une certitude, une évidence, mais il faudra auparavant accepter la lourde condition de ne rien obtenir avant longtemps. Comme l’arrogance d’un auteur convaincu que la portée de son œuvre est tellement universelle que son accessibilité, son horizon dernier devra se mériter. Les dents grincent donc un moment, les jambes ne manquent pas de manifester une impatience croissante…et finalement…

… Finalement tout se rejoint. Adela, qui aparaissait au départ comme l’héroïne, le vecteur unique de la fiction, se révèlera surtout être le corps porteur du mouvement qui ouvrira très vite sur la rencontre d’une famille madrilène en pleine mutation. La jeune femme, mère d’un enfant d’un an et demi, fraîchement séparée, partagera l’appartement d’Inès. Inès dont la mère, Antonia, accompagne son autre fille, Nieves, dans une expérience difficile. Antonia qui par ailleurs réfléchit à s’installer avec son nouveau compagnon, le bon et disponible Manolo, et donc à mettre en vente la vieille maison familiale. Reste qu’Helena, sa fille aînée, rêve de se payer une maison de vacances, spacieuse, avec piscine, confort moderne….

… Pris en ce sens, celui du film choral brossant le portrait doux amère d’une poignée de représentants du Madrid de 2007, le jeu n’a bien sûr qu’un intérêt très limité. Forcément, tout ne fonctionne pas toujours tel qu’on l’espère, les coups durs s’amoncellent aussi régulièrement que les petits bonheurs, larmes de joie et manifestations de colère prennent fonction au moment prévu. La vie va… A ceci près que pour Jaime Rosalès, l’essentiel est peut-être moins dans l’évidence de l’évènement, la lisibilité de l’instant, que dans la difficulté avec laquelle prend corps cette lisibilité. Avant d’en arriver là, à tel état plutôt qu’un autre, il aura fallu passer par toute une attente, une incertitude, un doute quant à la portée réelle de la moindre situation…

La Soledad irrite longtemps par la manière dont sont systématiquement fragmentés ses longs plans fixes : à chaque scène son split-screen, cette manière, a priori pas forcément nécessaire ici, d’accentuer l’idée de profonde solitude des êtres, même dans leur proximité ; untel parle dans un demi plan large voisinant avec un demi plan serré sur la réaction de son interlocuteur… ou de quelqu’un d’autre. Effet post-moderne pas toujours pertinent en lui-même, ce choix esthétique passionne pourtant assez par l’extrême honnêteté, l’extrême précision avec laquelle l’emploie le cinéaste. Il n’est pas incertain que ce dernier soit plus que conscient du caractère excessivement arty de son procédé, que ce tic soit davantage que le reflet d’une simple posture d’artiste. Souvent, et au fur et à mesure que progresse la chronique, naît la surprise d’une émotion, d’une profondeur insoupçonnée…

… Ici, la douleur se vérifie par la dissonance des états, la non-concordance des tracas. Même réunis, même proches, les personnages sont déjà tellement lointains les uns des autres. Une réunion de famille se révèle être, après des éclats de rire et plaisanteries sur les mœurs de chacun, le lieu de révélation d’une troublante méconnaissance de l’autre. Les liens, qu’ils soient de sang, d’amitié ou d’amour, sont toujours mis au défi de leur propre définition. Être collègues, partager toute la journée une même activité, assure-t-il l’évidence d’une communication pleine, exempte de flottement ? Surtout, à quoi se laisse deviner la brisure profonde d’un être ? La perte, l’amputation d’une partie de soi est-elle immédiatement saisissable ?…

… Faisant mine de ne parler de rien d’autre que ce qu’il offre à voir, La Soledad évoque finalement toujours comme un au-delà, un extérieur. L’arrogance du cinéaste est peut-être (sans doute) moins à prendre comme telle que comme l’interrogation inquiète d’un homme (un artiste) sur l’idée de « soucis de l’autre », de contemporanéïté des individus. Ce qu’il rechercherait, en définitive, par le biais de ces 133 minutes de langueur, ce serait une remise en question – forcément difficile – du regard, une véritable défiance envers les évidences de la perception. La «solitude» du titre ne serait alors pas un constat, mais une théorie.

Titre original : La Soledad

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Durée : 132 mn


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