La solarité chez André Téchiné

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<< Je veux de la lumière, je veux de la couleur. >> Cette phrase dite par le personnage de Sandrine Bonnaire dans Les Innocents révèle l’ampleur de la solarité dans les films d’André Téchiné. Au delà de la photographie, ce cinéaste déploie toute son attention aux textiles, au paysages cézanniens, au symbolique de la couleur et son extrapolation sur les états-d’âmes et les agirs des personnages.

Le lettrage : point de départ coloré

Le générique annonce la couleur : le jaune et ses déclinaisons. Eparpillé, évanoui, aveuglant ou déjà présent et incandescent, le titre indique la trame de fond du film, son ambiance et indique le chemin emprunté ou à emprunter par les personnages.

Dans Rendez-vous, sur les images de l’arrivée du train en Gare d’Austerlitz, le lettrage s’inscrit en vert avec une incursion subreptice de jaune pâle. Cette impression éphémère du jaune renvoie au parcours de l’héroïne (interprétée par Juliette Binoche), débarquée de sa province pour conquérir la capitale en tant qu’actrice. Quête initiatique autant qu’existentielle, l’enjeu du film est là, dans le mystère que livrera l’avenir. Que deviendra-t-elle dans sa vie professionnelle? Qui deviendra-t-elle dans son cheminement singulier ? Ayant rencontré Scrutzler (Jean-Louis Trintignant), alors que les doutes l’auront envahi, elle se détachera de lui sans le vouloir et entamera une carrière débutée par le rôle shakespearien de Juliette. Ce personnage de Trintignant renvoie ainsi, par métonymie, au jaune du générique, et à son rôle de passeur entre un âge, un état et un autre, entre une rencontre et une autre. Le film se conclut sur l’ultime rendez-vous, celui qu’elle a avec elle-même et l’art, au seuil de la scène, à la dernière minute avant le début de la représentation. Lumière régénératrice et symbole du passeur, le jaune se rattache aussi au thème de la jeunesse. Plus précisément, son évanouissement indique la fragilité de l’âge, l’incertitude des rendez-vous, la fébrilité de Nina. Comme dans les Roseaux Sauvages, ce lettrage jaune se double d’un effet-miroir et laisse poindre la nostalgie d’un temps révolu. Comme l’indique concrètement Le lieu du crime, le lumière solaire permet une projection sur un passé qui s’attache autant à l’affect du cinéaste qu’aux réminiscences des spectateur.

 
  
 
Ce film, Rendez-vous, vecteur explicatif des suivants, aura introduit la tonalité des films. Désormais, Téchiné ne s »intéresse plus au parcours jusqu’à la lumière mais l’impose d’emblée et laisse ses personnages s’en démêler avec. La jaune et la solarité est bel en bien présent, même si ces personnages cherchent un échappatoire, il faut frayer un chemin à travers cette solarité, comme un destin, scellé dans un trauma indicible.

Dans Le lieu du crime, le soleil est ainsi déjà présent dans le début. Soleil noir, écrasant , aveuglant, il immerge le cadre, ne peut s’éteindre, ou seulement dans la mort, sous la pluie. Lumière terrestre il incarne le double de la nuit, le songe éveillé dans ce drame familial aux confins du conte et du fantastique. Au contraire de Rendez-vous, le jaune est un poids, un présence indiscernable car commune autant dans la réalité que dans l’espace imaginaire des personnages. Dans Les Innocents, le fond bleu du générique est percé par le titre, jaune devenant blanc par solarisation. La blancheur évoque la ville de Toulon, la chaleur estivale mais aussi la tragédie dont la citation de Antigone de Sophocole rend évident. Il perce l’azur du ciel et s’impose comme intrinsèque à la ville, a la cité tragédienne, ne pouvant se démêler de drames, de conflits et de morts.

Dès le lettrage du générique, Téchiné impose un patchwork, un éventail solaire, tragique et régénérateur. Constructeur d’un espace-temps éphémère, accompagnant ces personnages vers le chemin de l’énonciation, d’une vérité et d’un renouveau. Jamais violent, la couleur joue de ses tours et détours pour imposer l’ambivalence et la symbiose.
 

     
« Le jaune a une telle tendance au clair qu’il ne peut y avoir de jaune foncé ». Kandinsky
Si l’on devait comptabiliser les portes et les fenêtres traversés par un travelling, se jetant dans le vide, ou enjambés par les protagonistes, la somme se calculerait en milliers. Toujours cadré avec leurs chambranles, les ouvertures des habitations font office ni plus ni moins de tableaux. Fortement ancré dans sa région natale et le Sud de la France, les films d’André Téchiné restituent la lumière des peintures impressionnistes. C’est la scène de la baignade des Roseaux Sauvages, le lac du Lieu du Crime, zone de repli et de découverte pour Thomas et sa mère (son dancing). Au delà d’un simple décorum où déjà intervient la confusion entre le Réel et l’Imaginaire, l’intérêt réside dans la frontière franchie entre intérieur et extérieur, ou plus précisément l’intériorité et l’extériorité des personnages. L’exemple le plus pertinent se trouve dans Le lieu du Crime. Dans ce film, les maisons (celle de la grand-mère et de l’ex-mari) sont des pôles, des structures datés en lien avec des événements passés, toujours filmés lors de journées ensoleillées. Lili Ravenel (Catherine Deneuve), lors d’une soirée chez son ex mari, revisite son histoire conjugale et chez sa mère elle revendique son droit à la liberté, à son émancipation et réfute l’éducation maternelle. A l’extérieur, Thomas, son fils rencontre l’Etranger (Martin, évadé de prison) et la nuit dans le jardin, sous la pluie a lieu le crime entre fantastique et cauchemar : la mort de Martin. Entre le soleil noir et la clarté lugubre, Le Lieu de crime est fait d’ambivalence et d’espaces parallèles ou se tissent et s’affrontent les destin de chacun. Comme toujours, il est question de détachement, de départ. Par cette ambivalence, le jaune restitue une zone sans horizon, ou s’affronte le haut et la bas, une zone de flottement, de questionnements et d’incertitude dont sont emprunts les personnages. Allié au noir (la nuit) et au bleu (le jour) dans ce même film, son extension chromatique est réduite à néant dans les Innocents, où planent sans distinction de tons le tragique et la mort.

Le jaune, outre la qualité tragédienne de celle ci, est aussi une couleur qui cristallise les moments, l’amplifiant dans sa force narrative, comme le fait la lumière d’un projecteur. Ainsi, le jaune délimite un entre-deux, un espace bercé par l’imaginaire des personnages, leur fantasmes ais dans lequel inlassablement revient la réalité.

Mais pourtant, face à son aspect violent et incontrôlable, la solarité a aussi pour principe de sublimer les personnages, de leur rendre force et beauté. Connu pour ne pas juger ses personnages et leur rendre la place, l’humanité et l’humilité qu’ils leur confèrent, André Téchiné n’enlise pas le cours de ses récits dans le lugubre versant du jaune tragédien. Ce qui sauve peut-être les récits d’un pessimisme plombant, se détient dans les personnages eux-même. Intrinsèquement, Téchiné semble construire ses protagonistes sur cette couleur, symbole contradictoire mais d’une force qui sans aucun doute amène à un Renouveau.


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