La saga des Pain, amour… un autre visage de l’Italie

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Une fameuse trilogie qui entre audace thématique et image d’Epinal contribua à changer le regard sur l’Italie de cinéma.

Pain amour et fantaisie : charme et authenticité

L’histoire se passe à Sagliena, un village de montagne imaginaire dans une région perdue d’Italie. Vittorio De Sica interprète un maréchal de logis des carabiniers, Antonio Carotenuto. Entre deux âges il pense qu’il serait grand temps de se marier, et jette son dévolu sur la jeune Maria De Rittis (Gina Lollobrigida), surnommée la Bersagliera, dont il voudrait faire sa fiancée, mais elle est déjà amoureuse du subordonné timide Carotenuto, Pietro Stelluti (Roberto Risso).

Pain, Amour et Fantaisie est certainement l’œuvre emblématique du courant « néo réalisme rose » en plus de constituer le premier film majeur de Luigi Comencini. Sa vision truculente, touchante et ensoleillée de l’Italie constituera l’idéal de l’imagerie du pays pour les spectateurs du monde entier en croisant habilement une vraie réalité et certains clichés. Le film est surtout le fruit d’un formidable travail collectif tant Vittorio De Sica aura vampirisé le film à travers son interprétation chaleureuse du carabinier, Comencini ayant imaginé un personnage plus antipathique dans un film plus incisif et sombre. Il faudra donc en grande partie attendre les films suivant de Comencini pour trouver pleinement le ton qu’on lui connaît au vu de la tournure qu’à pris le projet*. Le film est une plongée dans l’Italie rurale des années 50, où les mœurs se scrutent à l’aune du commérage et de la piété religieuse, le climat moralisateur oppressant se ressentant sous l’angle de l’humour. De Sica se retrouve ainsi transféré dans ce coin perdu sinistre pour un célibataire où les coutumes et les non-dits entraînent une série de quiproquos qui vont mener à un marivaudage charmant. De Sica passe ainsi de la pulpeuse Gina Lollobrigida à la douce Maria Merlini au fil de l’histoire sous le regard curieux des villageois adorant colporter les rumeurs. Les soupçons de néo réalisme sont toujours là, l’humour ayant remplacé la tragédie dans certains moments : la misère dans laquelle vit la famille de Gina Lollobrigida, la réaction en chaîne que provoque la trouvaille d’un billet de 5000 lires ou encore tout le village priant la mort du riche propriétaire de la région quand il vient à se trouver mal. Le tout s’englobe parfaitement dans le tourbillon amoureux du film et notamment la charmante amourette parallèle entre Gina Lollobrigida et un jeune carabinier timide. Lollobrida en paysanne rustre débordant de sex-appeal crève l’écran, l’exubérance et l’authenticité typiquement italiennes côtoyant une beauté « plastique » que Comencini se plait à mettre en valeur, la future diva se dessinant peu à peu sous les atours de paysanne. Quelques scènes sont remarquables tel ce moment De Sica conte fleurette à Merlini entre deux accouchements, les remerciements exaltés à Saint Antoine et une très jolie fin qui met à mal un certains tabous de l’époque en parlant d’une fille mère. Un énorme succès qui entraînera deux suites, difficile à imaginer tant celui-ci se termine idéalement mais l’ambiance bucolique est tellement agréable qu’on a effectivement envie d’y revenir.

Pain, amour et jalousie : Redite inventive

A Sagliena, le brigadier du village se retrouve délaissé par la sage-femme qu’il devait épouser. Mais le brigadier n’a pas oublié la belle Maria.

La conclusion parfaite du premier permettait d’en rester là mais cette suite très réussie prolonge parfaitement le charme et en approfondi intelligemment les thèmes. Le film démarre pile là où s’arrêtait le précédent et bouleverse des situations qu’on pensait bien installées. On retrouve ce portrait de la société italienne rurale puritaine et ancrée dans la tradition avec la révélation de la fin du premier film sur le personnage de Maria Merlini qui est une mère célibataire ce qui entraîne foule de ragots et de contrainte lorsque le père de son enfant réapparait au détriment du maréchal. Le final forçant le couple à rentrer dans le rang montre bien le poids des apparences comme encore dominant au point de renoncer au bonheur pour donner une bonne image. La meilleure trouvaille est d’appuyer sur les déboires de la paysanne jouée par Gina Lollobrigida dont le charme provocant suscite une mauvaise réputation injustifiée, cette dernière livrant une prestation encore plus survoltée et émouvante que dans le premier film (même si le couple avec le carabinier fonctionne moins bien). Ça n’en oublie pas d’être très drôle, notamment avec des relectures des moments cultes du premier comme le double accouchement remplacé par un double baptême où le Maréchal est obligé de s’empiffrer et de boire chez l’un et l’autre de ses hôtes pour ne pas les vexer. Le côté très outré et truculent, typiquement italien, de tout le casting (la bonne Caramella est irrésistible) donne une énergie débordante au film même si la conclusion brouillonne (malgré de jolie scène comme la mort de l’âne ou les adieux avec la sage-femme) rend la réussite moins éclatante que son prédécesseur. Globalement ce second film navigue habilement entre redite et réinvention, une formule s’intalle sans dissiper l’intérêt. Une dernière scène très enjouée qui annonce de nouvelles aventures amoureuses pour le Maréchal, cette fois sans Gina Lollobrigida et Comencini et dans un cadre tout différent. A suivre…

 

Pain, amour ainsi soit-il : la formule s’essouffle

Le « maréchal » Carotenuto revient à Sorrente pour s’engager dans la police municipale. Mais la maison de ses parents est occupée par une affriolante veuve, Sophia, qui est loin de le laisser insensible. Ce qui oblige Carotenuto, sur les conseils de son frère Don Mattéo, curé de la paroisse, à être hébergée par une paroissienne austère.

Ce troisième et dernier volet* des mésaventures amoureuses du Maréchal est sans doute le moins bon car ne se contentant désormais que d’appliquer la formule bien rodée. Un petit pincement au début en quittant le village et les personnages des deux premiers films, mais l’apport de la couleur et le format scope changent déjà beaucoup l’imagerie, mais le changement de cadre aurait pu symboliser un renouveau. Le noir et blanc et les paysages montagnards laissent donc la place aux couleurs flamboyantes et à l’ambiance méditerranéenne du Sud de l’Italie avec un Dino Risi ayant pris le relai de Comencini. Hormis la servante Caramella (beaucoup moins présente) et évidemment le Maréchal, les liens narratifs avec les précédents sont inexistants si ce n’est l’intrigue qui offre un quasi remake du premier film avec quelques variantes. Gina Lollobrigida devenue superstar ayant refusé de rempiler, place à Sophia Loren dans un rôle voisin mais plus mature, une méridionale séductrice et roublarde en lieu et place de la paysanne volcanique et ignorante incarnée par Lollobrigida. Même si Loren est de très loin une bien meilleure actrice, son personnage n’est pas aussi vrai et touchant et on ressent moins de complicité avec De Sica. Ce dernier vient de nouveau s’intercaler bien malgré lui dans l’histoire d’amour orageuse des deux tourtereaux mais, là aussi, la jolie innocence du premier film est atténuée par le couple peu intéressant de Sophia Loren et de son amant. De même, malgré quelques moments amusants, la seconde intrigue avec la bigote (en remplacement de la sage-femme jouée par Maria Merlini dans le premier, la ressemblance physique volontaire en plus) peine à susciter l’intérêt malgré une jolie scène à la fin lorsqu’elle apparait en séductrice. Cela se suit néanmoins sans ennui grâce à l’abattage de De Sica toujours aussi drôle et charmeur. Risi, même si peu concerné (au point que De Sica dirigera certaines scène quand il aura passé des nuits en bonne compagnie et incapable de se présenter sur le plateau), emballe bien le tout avec un film très beau formellement mais qui ne porte pas sa patte thématique. Le filon semblait épuisé et il était temps pour la comédie italienne d’emprunter un ton plus féroce. * Vittorio De Sica opportuniste ira tourner un quatrième épisode non officiel en Espagne avec Pain, amour et Andalousie de Javier Seto.

 

Titre original : Pane, amore e fantasia

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Durée : 90 mn


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