La Ronde de nuit

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Peter Greenaway, une fois encore, filme avec un pinceau de lumière et donne son interprétation du mystère entourant La Ronde de nuit de Rembrandt. Fascinant.

D’emblée la première séquence donne le ton. La ronde de nuit brillera dans son obscurité, avec des relents de sexe et de mort. Le sang donc. D’un écran noir, Rembrandt y apparaît quasiment nu, les yeux crevés, en proie à la vindicte des bourgeois. Un écran noir, comme une toile blanche, où tout peut s’inscrire, se modéliser, s’affiner. L’œuvre filmique de Greenaway se construit comme une œuvre picturale, où l’art enivre les sens et où la chair côtoie l’esprit. Et qu’est-ce que l’art, et qui plus est la peinture, sinon une symbiose du sexe et de la mort, ces deux totems sans quoi la vie n’est plus.

Rembrandt, fils de meunier accédant à la haute bourgeoisie grâce à son génie, puise son inspiration dans ces sources intarissables pour offrir à son époque du réel figé sur toile. Et par son acuité visuelle, il bouleversera les représentations classiques, les détournera pour attaquer une société vile et corrompue. Démarche couronnant sa carrière avec le tableau dont il est question ici, mais qui signera aussi sa fin. On n’attaque pas les puissants impunément.

A travers ce film, Greenaway peaufine son art de construire des images raffinées inspirées par les maîtres de la peinture. Et, à l’instar de Zoo et du Ventre de l’architecte inspirés respectivement par Vermeer et Boullée, La ronde de nuit est à la fois une ode à la peinture de Rembrandt et une théorie sur la construction de l’un de ses plus célèbres tableaux. Entre hommage et expérimentation, l’esthète anglais créé un univers quasi onirique au cœur d’un monde entièrement dédié à l’art.

La ronde de nuit diffère des précédents films du réalisateur par un récit somme toute normal, l’insolite faisant normalement partie de sa marque de fabrique. Il se penchera plutôt sur une narration étrange, à l’aspect factice voire théâtral. Donnant l’impression qu’il brise son schéma narratif, il ne morcelle en fait que la représentation que le spectateur peut se faire de l’histoire. Point délicat s’il en est, car il est aisé de se sentir rejeté de ce monde quasi figé, animé par peu de mouvements de caméra, exceptés quelques panoramiques très lents où l’on ne comprend pas tout de suite la démarche de Greenaway. Mais en grand orfèvre, le cinéaste mélange subtilement les plans pour créer un échange entre l’extérieur menaçant le peintre, et son intimité pétrie d’émotions dans une lumière douce et diaphane. A cet égard, le travail en lumière artificielle est somptueux et est à rapprocher des lumières naturelles de Barry Lyndon ou de Cris et chuchotements. Greenaway travaille sur la matière de l’image, fige ce qui est animé, à l’inverse de Rembrandt qui, par le détail de la main tendue de Banning-Cocq au centre du tableau, brise la surface du tableau pour construire une peinture « réelle ». Ainsi le film se veut un parallèle avec les possibles cinématographiques de la peinture du maître flamand.

Enfin, sa théorie pour éclaircir les zones d’ombre du tableau, sans être échevelée, relève de la pure spéculation policière dans laquelle un artiste isolé travaille à se faire accepter par les hauts milieux tout en dénonçant leurs vilénies. On y retrouve des bribes de son premier succès Meurtres dans un jardin anglais. Mais l’histoire est ici encore plus passionnante car ancrée dans l’Histoire sans la reconstruire. « L’Histoire n’existe pas, seuls les historiens existent », et il se propose de résoudre l’énigme, certes avec effronterie, mais avec un tel brio ! Tout s’entremêle, la peinture, le film, la fiction du film, le réel de Rembrandt, afin que cette Ronde de nuit débouche sur ce fameux vertige appartenant exclusivement au sensible de l’art.

Encore une belle leçon de cinéma, où le divertissement le partage avec une réflexion profonde sur la nature de l’art, et par là même de l’homme.

Titre original : Nightwatching

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Durée : 125 mn


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