La Prima Cosa Bella

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La vie est un long foutoir pas tranquille.

Des sensations fortes, Bruno en a eu avec sa jolie maman. Un canon, certes, mais un sacret boulet aussi… Trauma initial : 1971, élection de Miss Pancaldi. La ravissante Anna est élue Miss Maman de l’été. Le rêve de princesse se transforme vite en cauchemar, peuplé d’horribles bonshommes libidineux aux yeux exorbités et à la langue pendante. Ce n’est pas franchement de sa faute si, à partir de ce moment-là, tout foire dans son existence. L’Œdipe de son gamin a du mal à le comprendre… Quitte à tout rater, autant le faire avec talent.

Mains aux fesses, regards lubriques, promotion canapé… Prompte à rajouter le suffixe « ino » à la fin de chaque mot (« Brunino mio », « minutino », etc.) pour faire plus « mignonino », l’enfantine Anna est naïve, elle y croit toujours. Une fois l’emballage ouvert, elle se fait jeter comme une merde. Les fées l’ont dotée d’un corps sublime pour que les mâles la traitent comme une chienne. Comme la Tosca, toutefois, Anna a un sens aigu du romanesque. Si sa vie modeste n’a pas la rutilance tragique d’un opéra, elle peut avoir le lyrisme sirupeux d’un vieux tube de l’été. Ceux-là mêmes qu’on snobe mais qu’on chante plus tard, emprunts d’une nostalgie mi-affectée mi-puérile, avec une guitare, sur la plage abandonnée, coquillages et crustacés.

« Ho preso la chitarra, e suono per te… » (1)

Comme tous les hommes de sa vie, Bruno a bien craché sur Anna lui aussi. Quand sa petite sœur Valeria déboule pour lui annoncer la phase terminale du cancer de maman, Bruno doit se faire violence pour regarder ailleurs qu’autour de son petit nombril. L’occasion de se remémorer pourquoi, exactement, il en voulait à sa mère… On a le choix dans la vie : on peut tout refuser en bloc, se cogner aux dures parois de notre boîte crânienne, comme Bruno, semi dépressif qui, enfant déjà, tirait la gueule sur toutes les photos en fronçant les sourcils, ou se laisser envahir par la trouille, chercher la sécurité, se jeter dans les bras du premier venu pour finalement le regretter, comme Valeria. On peut aussi simplement essayer d’enjoliver ce qui est laid, comme Anna, qui n’a rien choisi à part son optimisme.
 

La Solitude des nombres premiers explorait avec un talent sans distance les lois de la relativité : on n’a aucun recul sur son passé. Nul besoin d’aller au cinéma : la bluette est dans la cour de récré, le thriller dans les toilettes du lycée. Saverio Costanzo n’y allait pas de main morte et le montage radical remuait sans pitié – mais avec beaucoup d’humanité – le couteau dans les plaies des deux anti-héros, écorchés vifs. Ici, Paolo Virzì s’appuie clairement sur le capital sympathie de ses bons acteurs, au détriment de la forme. Une patine vintage sur les réminiscences – pattes d’éph et rouflaquettes – ne suffit pas à pincer nos cœurs, pourtant noyés sous les scènes les plus inévitablement larmoyantes du film. On en voudrait presque à Virzì tant son penchant pour la grande messe sentimentale pousse à l’effusion lacrymale avec, il faut bien le dire, assez peu de finesse (sans trop en dire, la scène du mariage en est l’exemple parfait).

Le duo tristesse/joie tire ainsi sans nuance sur la corde sensible, même si cette cyclothymie profite à quelques moments éclatants, notamment celui où Valeria, en larmes, se réfugie dans les bras de son amant, devant son mari décontenancé. On regrette que Paolo Virzì n’ait pas plus souvent opté pour cette spontanéité brutale et désordonnée, véritable ressort des passages les plus drôlement justes du film, trop facilement touchant mais pas encore assez émouvant. La Prima Cosa Bella se repose confortablement sur les codes et stéréotypes les plus attendus du feel good movie. On pense au gentillet Little Miss Sunshine tant Bruno, l’intello raté, pourrait être ce spécialiste de Proust crispé devant l’existence, faute de n’avoir jamais pu prendre le temps de l’étudier avant pour mieux savoir par quel bout la vivre.
 

La Prima Cosa Bella hésite entre profondeur et superficialité sans creuser sa meilleure piste : la référence récurrente à la photo, ces clichés ensevelis dans les tiroirs qui ne prennent sens que lorsqu’on envisage tout ce qui les habitait. Anna est bel et bien une star, une vedette domestique, l’héroïne flamboyante de la vie de Bruno. La frontière entre la réminiscence fiable et le souvenir fantasmé saute aux yeux lorsque le père hystérique, déguisé en gendarme de Saint-Tropez, débarque en plein tournage pour kidnapper ses propres enfants. Des monstres sacrés du cinéma italien, Bruno n’a gardé qu’une vague image… Sa mère, pourtant abonnée à la lose, les supplante largement tous.

(1) « J’ai pris la guitare, et je joue pour toi ». A ne pas confondre avec « Si je chante, c’est pour toi » de Sylvie Vartan… La Prima Cosa Bella est une chanson rétro de variété italienne écrite par Nicola Di Bari.

Titre original : La Prima Cosa Bella

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Durée : 111 mn


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