La Part des anges suit Robbie, tout jeune père qui aimerait bien que son passé de délinquant arrête de le poursuivre. Sauf qu’on est à Glasgow, que Robbie replonge facilement et qu’il se retrouve vite à effectuer des travaux d’intérêt général. Là, il croise Rhino, Albert et Mo, pas franchement intellos mais sympas. Henry, l’éducateur qu’on leur a assigné et pour le coup carrément sympa, les initie à l’art du whisky et de la dégustation. Robbie est doué, il reconnaît bientôt les cuvées les plus rares, les plus chères. Et dans le whisky, avec un peu de talent et d’arnaque, il y a moyen de se faire du fric… Belle idée que celle de l’aspect cyclique de la petite délinquance, qui traverse tout le film et qui semble dire qu’elle n’est jamais ni une fatalité, ni quelque chose à laquelle on puisse définitivement échapper. Ken Loach filme, c’est une habitude, les gens déclassés, ceux qui n’ont d’autre alternative que la débrouille. Le regard qu’il pose sur eux est franc et empathique, jamais condescendant.

Surtout, il en tire des scènes de pure comédie, qui rendent le film plus mineur qu’un Kes ou un Raining Stones, mais permettent de placer La Part des anges sur le terrain social sans jamais risquer l’apitoiement. Des barres HLM et des fins de mois difficiles, Robbie, Rhino, Albert et Mo n’en sortiront pas, ou qu’un temps. Mais peu importe qu’ils appartiennent à une génération sacrifiée où le chômage est légion, ils auront leur parenthèse enchantée. La Part des anges se soucie peu de l’aspect technique : la réalisation, comme souvent chez Loach (Le Vent se lève faisant figure d’exception), est surtout fonctionnelle, prétexte à brosser une galerie de personnages qu’on préfère avoir envie de suivre que de voir bien cadrés. C’est d’ailleurs là que l’Anglais excelle : il lui suffit d’une ligne de dialogue, d’une situation à peine esquissée pour dessiner un personnage entièrement compréhensible.
Difficile de ne pas sentir l’immense savoir-faire dont Ken Loach fait aujourd’hui preuve. La Part des anges donne l’impression de s’être tourné vite, dans la facilité, comme si le réalisateur était désormais si coutumier des tournages qu’il pouvait tout diriger à l’instinct. C’est peut-être la première fois que son cinéma s’offre de manière si simple, si évidente ; où ce qui est montré serait ce qu’il faut voir, où rien ne saurait souffrir l’exégèse. C’est certainement et paradoxalement ce qui empêche d’avoir beaucoup plus que de la sympathie pour son dernier film, qui avance si bien le long d’une ligne claire qu’il ne s’offre aucune sortie de route, aucun accident. La Part des anges, en distillation, désigne la part d’alcool qui s’évapore pendant le vieillissement en fût et qui permet au whisky d’atteindre les 40° minimum nécessaires à son appellation. Une quantité infime mais non négligeable, dont Ken Loach, en l’appliquant à l’humain, fait le joli cœur de son film.