La Part des anges

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Étonnant Prix du jury à Cannes, le nouveau Ken Loach est pourtant drôle et alerte.

Au dernier Festival de Cannes, on n’avait même pas pensé à aller le voir. On aime bien Ken Loach pourtant, mais Route Irish était trop décevant, et sa dernière comédie en date, Looking for Eric, qu’à moitié convaincante. Les bruits de couloir avaient fini de nous en persuader : La Part des anges est un téléfilm BBC, drôle oui mais sans plus, on se demande bien ce qu’il fait en compétition officielle. Le réalisateur lui-même a eu l’air étonné le soir du palmarès : « Merci au jury, vous êtes très gentils. » Aujourd’hui qu’on l’a vu, que penser du nouveau Ken Loach ? Évacuons rapidement le fait qu’il ne fera pas date ; La Part des anges est une comédie sociale drôle, finement écrite, peu inquiète de l’image et du cadre, en accord parfait avec le climat actuel (crise, chômage, jeunesse perdue), d’un optimisme jamais naïf. En gros, c’est plutôt très bien, même si on a toujours un peu de mal à comprendre le Prix du Jury (et c’est promis, maintenant, on n’en parle plus).

La Part des anges suit Robbie, tout jeune père qui aimerait bien que son passé de délinquant arrête de le poursuivre. Sauf qu’on est à Glasgow, que Robbie replonge facilement et qu’il se retrouve vite à effectuer des travaux d’intérêt général. Là, il croise Rhino, Albert et Mo, pas franchement intellos mais sympas. Henry, l’éducateur qu’on leur a assigné et pour le coup carrément sympa, les initie à l’art du whisky et de la dégustation. Robbie est doué, il reconnaît bientôt les cuvées les plus rares, les plus chères. Et dans le whisky, avec un peu de talent et d’arnaque, il y a moyen de se faire du fric… Belle idée que celle de l’aspect cyclique de la petite délinquance, qui traverse tout le film et qui semble dire qu’elle n’est jamais ni une fatalité, ni quelque chose à laquelle on puisse définitivement échapper. Ken Loach filme, c’est une habitude, les gens déclassés, ceux qui n’ont d’autre alternative que la débrouille. Le regard qu’il pose sur eux est franc et empathique, jamais condescendant.

 

Surtout, il en tire des scènes de pure comédie, qui rendent le film plus mineur qu’un Kes ou un Raining Stones, mais permettent de placer La Part des anges sur le terrain social sans jamais risquer l’apitoiement. Des barres HLM et des fins de mois difficiles, Robbie, Rhino, Albert et Mo n’en sortiront pas, ou qu’un temps. Mais peu importe qu’ils appartiennent à une génération sacrifiée où le chômage est légion, ils auront leur parenthèse enchantée. La Part des anges se soucie peu de l’aspect technique : la réalisation, comme souvent chez Loach (Le Vent se lève faisant figure d’exception), est surtout fonctionnelle, prétexte à brosser une galerie de personnages qu’on préfère avoir envie de suivre que de voir bien cadrés. C’est d’ailleurs là que l’Anglais excelle : il lui suffit d’une ligne de dialogue, d’une situation à peine esquissée pour dessiner un personnage entièrement compréhensible.

Difficile de ne pas sentir l’immense savoir-faire dont Ken Loach fait aujourd’hui preuve. La Part des anges donne l’impression de s’être tourné vite, dans la facilité, comme si le réalisateur était désormais si coutumier des tournages qu’il pouvait tout diriger à l’instinct. C’est peut-être la première fois que son cinéma s’offre de manière si simple, si évidente ; où ce qui est montré serait ce qu’il faut voir, où rien ne saurait souffrir l’exégèse. C’est certainement et paradoxalement ce qui empêche d’avoir beaucoup plus que de la sympathie pour son dernier film, qui avance si bien le long d’une ligne claire qu’il ne s’offre aucune sortie de route, aucun accident. La Part des anges, en distillation, désigne la part d’alcool qui s’évapore pendant le vieillissement en fût et qui permet au whisky d’atteindre les 40° minimum nécessaires à son appellation. Une quantité infime mais non négligeable, dont Ken Loach, en l’appliquant à l’humain, fait le joli cœur de son film.

Titre original : The Angels' Share

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Durée : 101 mn


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