La Nostra Vita

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La crise, des larmes et un prix d´interprétation à Cannes, cela ne suffit malheureusement pas à faire un film.

Malgré un prix d’interprétation ex-aequo surprise à Cannes en 2010 pour Elio Germano (face à l’attendu Javier Bardem pour Biutiful), La Nostra Vita aura mis près d’un an à trouver le chemin des écrans français. Constatant la quasi disparition au cinéma d’une classe sociale très présente dans les films italiens des années 1960, Daniele Luchetti (Mon Frère est fils unique, 2006) souhaite interroger la réalité de cette classe aujourd’hui, avec une « histoire qui parle de cette classe sociale qui était autrefois celle des " prolétaires ", mais qui aujourd’hui n’a plus de mot précis pour la définir. » Malheureusement, à ce projet intéressant de questionnement d’une histoire du cinéma et d’une réalité sociale est substitué un film faiblard, d’une absence totale de mise en scène et bien loin des objectifs fièrement annoncés.

Claudio est le jeune patron d’une entreprise dans le bâtiment. Sa petite vie tranquille bascule quand sa femme décède en mettant au monde leur troisième enfant. Pour contrer sa douleur et assurer un bon train de vie à ses enfants, il décide de devenir « méchant » (le terme est employé dans le film) pour faire de l’argent dans les affaires. Mauvais choix et prise de risque le mèneront à l’endettement. Outre le fait que Luchetti confonde patronat et prolétaires (qu’il ait des difficultés financières n’enlève pas à Claudio son statut de chef de petite entreprise), ce qui l’éloigne passablement du projet initial, le film marque par un refus complet de mise en scène dans une volonté de prétendu réalisme. Quasi entièrement tourné en caméra à l’épaule, il suit au plus près ses personnages, leur colle constamment aux basques. Pas de cadrage, pas ou peu de plans fixes, seulement une obsession du personnage comme unique direction donnée à l’ensemble. Et évidemment, La Nostra Vita ne contourne aucun des travers qui guettent ce type de pratique – quoi qu’on pense de leur travail, sur des présupposés proches, les frères Dardenne offrent au moins une véritable réflexion sur ce qu’est la mise en scène. Ici, en premier lieu, une impudeur constante – voire un manque de respect – vis-à-vis de son sujet : il faut être au plus près de ces larmes qui coulent sur le visage du veuf à l’enterrement, bramant avec ses amis une chanson aimée de la disparue. Comme de nombreux films, La Nostra Vita vous prend en otage et force à regarder la misère au plus près. Mais ça, ce n’est pas de l’émotion, c’est de la pornographie.

Dommage, car le film avait sans doute un petit potentiel. Quelques personnages secondaires pas trop mal caractérisés notamment : ni faire-valoir, ni stigmatisés, mais illustrant assez bien l’obsession contemporaine de l’argent que le film souhaite dénoncer. L’importance du paraître, la mise en avant de la marque comme emblème social correspond à un souci de l’apparence qui est peut-être finalement moins l’apanage de l’Italien typique que de l’humain contemporain. De même qu’un racisme quotidien, non plus dirigé vers une nationalité en particulier, mais vers tous types d’immigrés (Maghrébins, Roumains…) et marquant un repli sur soi, voire un communautarisme étant autant le fait des immigrés peinant à s’insérer que des Italiens vivant eux-aussi la crise de plein fouet (1). Dommage que La Nostra Vita refuse autant d’être un film au profit d’un illusionnisme de façade.

Au meilleur, on pense à du très mauvais Ken Loach (qui, même dans ses tentations les plus larmoyantes, a au moins le mérite de chercher une mise en scène cohérente), au pire au modèle télévisuel du documentaire bas de gamme ou de la tv réalité, dans son obsession de la vérité de l’image (que cette vérité soit ensuite découpée, déplacée et remontée pour correspondre à un schéma narratif préétabli est une autre question). « J’ai fait semblant d’être seulement le spectateur d’un événement réel, en croyant aux personnages et en écoutant leurs raisons, comme si ce n’était pas moi qui les avais inventés, choisis et mis en scène. » écrit le réalisateur. Mais faire semblant, c’est aussi faire un semblant de film.

(1) Ceci dit, si le racisme est un phénomène d’importance dans l’Italie d’aujourd’hui, il l’est aussi, peut-être à un degré moindre, dans la majorité des pays d’Europe de l’Ouest.

Titre original : La Nostra Vita

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Durée : 93 mn


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