La Grande Guerre

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Les aventures picaresques de deux lâches servent un saisissant portrait de la Grande Guerre.

Après l’avoir progressivement initiée depuis le début des années cinquante dans ses réalisations pour le comique Toto, Mario Monicelli fur véritablement le fer de lance de la comédie italienne grinçante en 1958 avec Le Pigeon. Contexte réaliste, humour noir, personnages extravagants, tous les éléments qui feront de la comédie le genre roi de l’âge d’or du cinéma italien pendant plus de vingt ans, se retrouvent d’emblée dans ce coup de maître. A peine un an plus tard, Monicelli confirmait avec La Grande Guerre, tout aussi brillant et plus ambitieux encore.

1917 – A l’heure où l’Italie s’engage aux côtés de la France dans le conflit mondial, deux soldats sortent du rang pour pratiquer la guerre buissonnière. Toujours en première ligne lorsqu’il s’agit de déserter le champ de bataille, Oreste Jacovacci (Alberto Sordi) et Giovanni Busacca (Vittorio Gassman) se distinguent dans l’art d’éviter les ennuis et de collectionner les aventures…

 

Tout au long de La Grande Guerre, à travers les pérégrinations comique et tragique de ses deux héros, un autre film vient constamment à l’esprit, Le Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone. En effet, derrière les deux œuvres se cachent les mêmes auteurs : le légendaire duo Age & Scarpelli, grands auteurs de la comédie italienne et le nom moins fameux Luciano Vincenzoni, grand scénariste italien et collaborateur fidèle de Leone. On retrouve ainsi dans les deux films (surtout pour les séquences guerrières chez Leone) ce croisement de réalisme noir et oppressant nous plongeant dans l’enfer de la guerre et d’humour désopilant. Si Eastwood apportait un détachement tout américain et Eli Wallach toute la touche outrancière latine, Monicelli quant à lui fait appel aux deux acteurs parmi les plus cabots du cinéma italien, Vittorio Gassman et Alberto Sordi.

Surtout, les deux interprètes se sont spécialisés dans les rôles d’italiens fanfarons, lâches et idiots. C’est eux qui créent le décalage permanent entre farce pure et vrai film de guerre. On rit ainsi beaucoup au début du film notamment la première rencontre entre les héros où Sordi embobine Gassman en se faisant payer pour l’exempter de combat, alors que ce n’est pas en son pouvoir, et leurs retrouvailles musclées un peu plus tard suite à cette trahison. Nos deux couards ne sont que le reflet de la description qui nous est faite de l’armée italienne : aucune fibre patriotique, des soldats cherchant à en faire le moins possible (toutes les tâches permettant de quitter momentanément le front sont bonnes à prendre) et ceux motivés à prendre des risques se font rétribuer par les malchanceux désignés d’office pour les remplacer sur les missions dangereuses.

 

D’ailleurs, si Gassman et Sordi apparaissent comme deux électrons libres, les personnages secondaires sont imprégnés de cette tonalité néoréaliste encore très présente dans la comédie italienne. On pense au soldat Bordin joué par Folco Lulli, père de famille nombreuse prenant tous les risques pour envoyer un maigre complément financier aux siens. On trouve également la prostituée incarnée par Silvana Mangano (femme du producteur Dino De Laurentis) qui dans un premier temps donne dans l’excès de l’Italienne forte de caractère, notamment une hilarante scène où tout un régiment en rut se presse sous sa fenêtre pour ses faveurs. Ces deux personnages servent donc à humaniser Gassman et Sordi en ne les réduisant pas au seul ridicule comique. La relation entre Vittorio Gassman et elle s’avère ainsi très touchante, les aspects humoristiques (la séduction ridicule de Gassman, le vol de portefeuille par Mangano) rapprochant peu à peu leur solitude, notamment lorsqu’ils découvriront tout deux qu’ils sont nés de père inconnu.

Plus le récit avance, plus le ton se fait sombre et dramatique, chacun des retours des deux tire-au-flanc s’avérant de plus en plus culpabilisant quand il n’était que drôle jusqu’ici. Dino De Laurentis a accordé des moyens colossaux à cette production et Monicelli déploie nombre de séquences impressionnantes, à la violence saisissante, comme ce fulgurant assaut de tranchées qui ouvre le film. Les injustices pathétiques sont également légion : un messager se fait tuer à cause de l’intransigeance d’un gradé, l’obligeant à traverser un champ de tirs pour délivrer l’ordre autorisant les soldats à boire de l’alcool et manger du chocolat pour Noël… Finalement, sous le comique apparent, La Grande Guerre est sans aucun doute le grand film européen sur la première guerre mondiale où l’on devine l’écho à une débandade militaire italienne plus récente et nettement moins glorieuse. Le final sec et brutal où nos héros paieront cher leur ultime couardise appuie cette idée de façon magistrale, puisque paradoxalement la frontière avec l’héroïsme est fort ténue dans leur destinée. Ni pires, ni meilleurs, juste des hommes cherchant à survivre au milieu du chaos.

Titre original : La Grande guerra

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Durée : 135 mn


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