La Garçonnière (The Apartment)

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Ressortie en salle d´une topologie du monde de l’entreprise et de ses petits tracas. Wilder, MacLaine et Lemmon au sommet.

Premier des quatre longs métrages en Scope noir et blanc de Billy Wilder, La Garçonnière (1960) est une comédie romantique sombre et grinçante, magnifiée par le burlesque Jack Lemmon et l’ingénue Shirley MacLaine. Au départ, il y a C.C. Baxter (Jack Lemmon), un jeune homme qui rêve de devenir cadre, et bientôt Fran Kubelik (Shirley MacLaine), la charmante liftière. Chaque matin, dans les locaux de l’entreprise, tout le monde se presse pour prendre l’ascenseur. Mais personne, excepté Baxter, ne daigne retirer son chapeau. C’est que le personnage est attiré par Fran et souhaite lui faire la cour, ou bien une façon pour Wilder de souligner que dans la masse des salariés, celui-ci n’est pas comme les autres. Cet ascenseur, pour Baxter, cache un symbole plus qu’évident. Car au-delà de sa bonhommie et de sa gentillesse, ce dernier est aussi un arriviste comme les autres. Et comme les autres, c’est l’ascenseur social qui l’intéresse. Problème : cet ascenseur qui pourrait lui faire gravir les plus hauts sommets est occupé par une jeune femme plus qu’attirante, contre laquelle son indomptable carriérisme est impuissant. Les forces de l’amour seraient-elles à même de faire oublier les alléchants sentiers de la gloire et de la réussite ? Pas si sûr, répond Billy Wilder.

Particulièrement séduit par la prestation de Jack Lemmon dans le sulfureux Certains l’aiment chaud un an auparavant, le cinéaste imagina spécialement pour lui le scénario de La Garçonnière (après avoir vu Brève Rencontre de David Lean). Le film débute comme une comédie, sur un ton enjoué. C.C. Baxter est un numéro égaré dans le dédale des bureaux d’une immense compagnie d’assurances, une petite main parmi tant d’autres qui gèrent les dossiers. Afin de se faire remarquer par ses supérieurs, il leur laisse à disposition son appartement pour leurs petits rendez-vous amoureux clandestins. La tonalité de l’ensemble a beau être légère, Wilder n’en profite pas moins pour brosser un portrait assassin de la société américaine : il y a ceux qui tirent profit et ceux qui sont abusés, aussi bien sur le plan économique que sentimental. Ce que Fran résume de la manière suivante : "Certains ont tout, d’autres se font avoir. Et ils savent très bien qu’ils se font avoir, et ils ne peuvent rien y faire." C’est le procès de l’arrivisme et de l’amour de soi.

 

La force de Wilder est de parvenir à mettre tout cela en évidence avec un humour implacable, un scénario au tempo étourdissant (écrit par le génial I.A.L. Diamond) et sans une once d’austérité. Mieux encore : on passe habilement à mi-parcours, et ce sans retour possible, de la comédie la plus loufoque au mélodrame le plus poignant (le symbole du miroir brisé). C’est à ce moment-là que le duo formé par Shirley MacLaine et Jack Lemmon prend toute son envergure. Tantôt folâtre, tantôt grave et soutenu par une gamme de mimiques plus improbables les unes que les autres, Lemmon passe d’un registre à l’autre avec une facilité déconcertante. Quant à MacLaine et sa coupe à la garçonne, petit brin de fille tout en retenue, spontanéité et ingénuité, elle trouve là un de ses meilleurs rôles (aux côtés de Mais qui a tué Harry et Comme un torrent). Dans le monde machiste de La Garçonnière, elle fait face à un quotidien teinté de sexisme. On est loin de l’univers stéréotypé dans lequel évoluait Marilyn Monroe cinq ans plus tôt dans Sept Ans de Réflexion.

En mettant l’accent sur l’ambition, l’argent et le statut social, Wilder souligne les nombreuses tromperies et douleurs que nous infligent la société et le monde du travail. On remarquera au passage que l’introduction de La Garçonnière est, à ce titre, très éloquente. Par un ingénieux procédé de réduction du champ, le générique enveloppe d’abord le front d’un immeuble pour laisser la caméra se hisser graduellement vers l’unique fenêtre éclairée. A cet instant, la subtile musique du compositeur Adolph Deutsch abat ses accords mécanisés, à l’image de cette sinistre chaîne humaine constituée par tous les salariés. Ainsi, d’un plan d’ensemble englobant toute la ville de New York et par rétrécissement continu du champ, Billy Wilder finit par ne cadrer qu’un seul personnage retiré dans sa tour de verre, mythique décor signé Alexandre Trauner (décorateur pour Marcel Carné, Joseph Losey ou encore John Huston) tout en profondeur de champ. Un peu comme chez Charles Chaplin (Les Temps modernes) ou plus récemment chez David Cronenberg (Cosmopolis), Baxter ne fait qu’un avec sa machine, ici un appareil à calculer. Parcouru de soubresauts, il secoue la tête pour accompagner les résultats de sa calculette. Chacun des ses gestes semble mécanisé. Le talent de Trauner est d’être parvenu à façonner un espace inflexible où les travailleurs ne sont que des rouages cloués à leur machine. Engrenages dont se démarque le sympathique C.C. Baxter.

 

Outre cette représentation acerbe que donne Wilder de la société américaine, de l’arrivisme et du machisme, la dimension romantique et surtout la manière avec laquelle Baxter séduit Fran est étonnante. Pour Billy Wilder, rencontres et affinités ne sont visiblement qu’une question de Kaïros (le moment opportun selon Aristote) : amour et désamour ne reposent que sur un soupir, un geste, un jeu de cartes… Ces séries de hasards ubuesques en disent long sur la contingence des rapports humains, mais également sur les transformations sociales et culturelles à venir de l’Amérique des années 1960.
 

Titre original : The Apartment

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Durée : 125 mn


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