La France (Serge Bozon – 2007)

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Aimée de Coigny, femme d´esprit au siècle des lumières, écrivait fort à propos : << tous les Français aiment la France, c'est vrai, mais jamais la même >>. Celle dépeinte par Serge Bozon a pour elle l´avantage de l´originalité, ce qui n’est pas si mal.

La France ? Qu’est-elle ? Cette Sylvie Testud à la moue boudeuse juchée sur ses deux cannes maigrichonnes et travestie en soldat dans un désert de cendres ? Cette troupe composite d’officiers (un instituteur, un voleur, des paysans) à la recherche d’un temps perdu ?

Dès le titre, Serge Bozon recherche la difficulté : celle d’affubler son film d’un terme insaisissable, d’un nom abscons car polysémique, pot-pourri ou parti-pris affiché d’une certaine conception de la France. Qu’attendre d’un film qui prétend par son titre atteindre l’insaisissable ?

Après avoir reçu une lettre de rupture, Camille décide de rejoindre sur le front son mari. Empruntant les sentiers détournés, elle rencontrera une troupe de soldats. Ils la prendront pour un jeune garçon, elle les prendra pour des égarés. Loin des combats sanglants sur le front, Serge Bozon filme le quotidien de cette troupe dans une France qui porte, au détour de chaque brindille soulevée, ou dans le bruissement de chaque feuille, les stigmates d’un conflit à cœur ouvert.

Le pari était courageux : faire d’un film sur la guerre un essai popisant traversé par de vrais moments lyriques, dans ces clairs-obscurs travaillés pour donner vie à des existences qui n’en ont plus.

Camille découvrira cette France à ce moment T, cette France apeurée, le quotidien d’une troupe de soldats déserteurs unis par un secret et une culpabilité nécessaires pour continuer à vivre. Et si c’était ça la France, finalement. Un pays qui se cherche, un pays qui respire la diversité et qui fait reposer sur un passé brûlant les échafauds d’un présent instable.

Personnifié, le pays devient l’acteur principal du film, dans ces panoramas qui réduisent en miniature les corps des protagonistes, pour les inscrire dans une étendue végétale ou un désert de cendres, essence même de cette France de 1917. Le cadre est souvent déchiqueté par les rebords aigus d’une caverne, ou les feuillages qui laissent entrevoir une histoire… Si le travail sur l’image et la mise en scène est palpable dans chaque plan, il n’en demeure pas moins parfaitement fondu dans une intrigue mêlant reconstitution historique, recherche romanesque et film de (sur la) guerre.

Très peu de films ont joué la carte de l’esthétisation à outrance de la guerre, scandée par des moments chantés atemporels et par des ritournelles pop énergiques. L’écueil principal consistait à faire exister et à doubler ces envolées harmoniques d’un propos et d’une image qui pouvaient amplement survivre sans elles. Fidèle à son travail d’orfèvre, Serge Bozon utilisera des instruments d’époque, dirigera ses acteurs dans le décor gigantesque… et non en studio, pour préserver cette naturalité du son et de l’image, et proposer un film sans raccord.

Pictural (belle traversée de nuit d’une rivière à la manière d’Apocalypse Now), et cérébral, dans cette utopie d’un Atlantide qui balaie le film, ou le mythe de la caverne platonicienne où les masques tombent et les illusions s’évanouissent, le réalisateur propose une fresque décomplexée et réinvente le film sur la guerre en réactivant les parties chantées chères aux années 50, sans tomber dans le kitsch primitif.

Mais, comme dans cette France à la recherche d’elle-même, tout n’est pas si rose. Malheureusement, ce film peut à certains égards exclure par le parti-pris auteuriste trop français justement, dans ces dialogues théâtraux qui frisent l’indigestion, dans cette stylisation du cadrage et de la lumière qui étoufferaient la spontanéité d’un film qui repose en grande partie sur cet effet. Mais qu’importe finalement, tant il apporte quelque chose de nouveau et de frais, tant il s’inscrit dans une recherche permanente de faire du beau avec du vieux. Et si c’était ça finalement La France.

« Ne plaise à Dieu ni à ses très saints anges que par moi la France perde sa gloire. Plutôt la mort que la honte » chantait Roland. Force est de constater que la France et sa fibre créatrice sortent grandies de ce genre d’essai cinématographique.

Bonus
Ce dvd est l’occasion de retrouver le premier moyen-métrage de Serge Bozon, Mods, qui témoigne une fois encore de l’attachement de son auteur pour les parties chantées et ce goût pour les dialogues transtextuels. A la manière d’une Valérie Mrejen, le réalisateur propose une réflexion servie par de faux raccords et des apothéoses de faux dialogues à en faire perdre le sens commun. Un batifolage avec les mots et les attitudes qui enferme dans une logique déraisonnable grisante, et dans les méandres de cette comédie musicale où chaque sentiment est craché en chanson par les personnages.

 

Titre original : La France

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Durée : 102 mn


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