La Couleur des sentiments

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Beaucoup de sentiments mais trop peu de couleurs : la couleur fade des sentiments.

La course effrénée à l’Oscar du Meilleur film de l’année disparaîtra-t-elle désormais au bénéfice de films bienpensants, pas mauvais certes mais ne prenant aucun risque ? Le Discours d’un roi fut le grand gagnant surprise de l’édition 2011 montrant la marche à suivre pour coiffer aux poteaux les favoris : plongez-vous dans le passé, prenez un fait historique un peu fait divers, offrez vos rôles intelligemment à de bons acteurs, un peu de cinéma mais pas trop, utilisez le miracle du tant attendu happy end moral et poignant et vous avez là, la recette incontournable du succès en salle et le potentiel insoupçonné de rafler les récompenses. De plus, La Couleur des sentiments surclasse son mentor en évoquant la lutte contre la ségrégation et le racisme, sans doute le sujet le plus condescendant et inoffensif à traiter au cinéma.

Le film raconte l’histoire forte des bonnes noires dans l’Amérique sudiste qui en plus du ménage et de la cuisine, élèvent les bons petits blancs sans pouvoir s’occuper de leurs enfants. Une jeune diplômée du Mississippi, relate secrètement les sentiments et les anecdotes drôles ou consternantes de ces femmes à qui on n’avait jamais donné la parole. Ces histoires résulteront d’un livre de témoignages anonymes qui bousculera les idéaux et le regard sur ces personnes qui offrent leur vie aux autres en plus de leur place dans le bus. Le film se démarque donc par des giboulées de bons sentiments et un traitement radicalement manichéen du rapport entre les conservateurs et les progressistes. Simpliste mais inattaquable, donc efficace. On rit et on pleure avec ces personnages charismatiques de bonnes impeccablement interprétées, c’est fait pour. L’image est chatoyante, les années 60, fashion tendance grâce à la télévision (Mad Men, Pan Am) sont retranscrites à la perfection et l’odeur des plats du coin mijotés nous traversent les narines. Oui mais voilà, le peu de tentatives de cinéma pour transcender tout ce savoureux mélange se fait cruellement sentir. Les rebondissements sont tristement attendus voire ridicules (« et non, ce n’est pas du chocolat ce que tu manges, c’est de la… Je t’ai bien eue ! ») et la complexité des personnages secondaires est tout bonnement abandonnée. Heureusement, il y a Chastain ! Jessica Chastain, qui éblouit le film en dressant peut-être le seul personnage pertinent en dehors du trio (les deux bonnes et la journaliste) sur lequel il se repose. Elle apporte une vivacité généreuse et une humanité appréciable (d’ailleurs, elle est l’Humanité dans The Tree of Life) aux côtés de ces robots à la pensée unique qui composent La Couleur des sentiments.

Entendons-nous bien, le film est agréable par bien des aspects et porte des intentions louables, il semble juste un peu trop fade pour prétendre mieux. Il permettra sûrement à ses interprètes féminines des nominations aux Oscars, voire bénéficiera aisément d’une nomination au Meilleur film. Rendez-vous dans quelques mois à la lecture du palmarès : s’il remporte la récompense suprême, préparons-nous déjà à proposer des histoires faciles et historiques à nos amis producteurs américains.

Titre original : The Help

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Durée : 146 mn


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