Keep the Lights On

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Dix ans de la vie de deux hommes dans un film brut et délicat.

« J’ai su très rapidement qu’il y aurait un premier jour et un dernier jour à cette relation. » La phrase est d’Ira Sachs, le réalisateur du film, à qui l’on doit déjà notamment Forty Shades of Blue (2005). Elle le concerne lui et un homme qu’il a aimé autrefois ; elle concerne aussi Erik et Paul, ses deux personnages qui ne savent pas s’aimer. Le constat est amer, l’envie de fuir, tentante. Pourquoi rester alors, pourquoi essayer, quand on sait, et qu’on commence à en être sûr, que tout cela ne finira pas bien ? Aucune réponse dans Keep the Lights On, pas de révélation tendance « l’amour plus fort que la mort ». Mais bien la scrutation de ce qui s’effrite, de ce qui fait mal, et l’observation douloureuse qu’il n’y a pas plus compliqué que de mettre un terme à une relation, aussi toxique soit-elle.

Erik et Paul ont un peu moins de trente ans. Le premier est réalisateur de documentaires (qui ont du mal à se faire), l’autre avocat. Ils se rencontrent par téléphone au courant des années 1990 (Internet n’existe pas encore) ; la nuit vaut le coup, ils décident de se revoir, entament une relation chaotique qui durera dix ans, malmenée aussi bien par les incompréhensions et les tracas quotidiens que par l’addiction au crack de Paul. Keep the Lights On est un film éminemment personnel : Ira Sachs a rassemblé des années de journaux intimes, e-mails et notes, s’est inspiré de sa propre expérience pour tisser son histoire, qui lie ici deux hommes mais pourrait se décliner à l’infini. Si le long métrage n’élude pas ce qui constitue une certaine idée de la vie gay (coups d’un soir, peur du VIH, sexualité plus ou moins assumée), il n’est en rien une étude des moeurs de la communauté homosexuelle du New York des années 1990 à 2000. Pas plus qu’il ne s’ancre dans une période donnée : du 11 septembre, on ne verra pour une fois rien, de l’émergence du SIDA à Manhattan non plus.

 

Loin du New Queer Cinema de Todd Haynes ou Gregg Araki, Keep the Lights On entre évidemment en résonance avec l’autre “ film gay ” de l’année, Week-end (Andrew Haigh), très beau lui aussi. Mais là où Andrew Haigh filmait la relation comme lieu de parole et se faisait parfois militant, Ira Sachs montre au contraire le moment où les mots se taisent, le point de césure à partir duquel deux personnes amoureuses ne peuvent plus communiquer. Là où Week-end disait la brièveté du couple comme salut, le film de Sachs s’installe dans la durée, étire tout autant ses scènes que son histoire, se rapprochant par là plus d’un Blue Valentine (Derek Cianfrance), lui aussi plutôt défaitiste quant à l’amour sur le long terme. Ce n’est pas que Keep the Lights On ne ménage jamais d’instants de douceur : Erik et Paul sont amoureux, Sachs le montre dans des scènes tendres filmées en mode impressionniste, souvent en lumière naturelle. Il confesse aimer le néo-réalisme européen, son film s’en ressent par son aspect très photographique, tourné hors teintes glaciales souvent propres aux films new-yorkais.

De fait, Keep the Lights On est un film new-yorkais sur l’étranger. Littéralement : Erik vient d’aileurs, il est danois. Métaphoriquement : il est étranger à ce qu’est l’addiction à la drogue, étranger à ce que Paul ressent, à ce qu’il traverse. C’est en fait cela qu’Ira Sachs semble poursuivre tout du long, le sentiment de ne jamais pouvoir approcher tout à fait l’autre, d’être toujours en dehors de lui. Erik ne prend pourtant jamais la tangente : il attend patiemment quand Paul disparaît des jours entiers, lui tient la main quand il se fait prendre par le prostitué qu’il a commandé. Mais il peut bien garder les lumières allumées comme on garde les yeux grand ouverts, son histoire a trop de zones d’ombres pour ne pas finir par s’éteindre.

Lire aussi l’entretien avec Ira Sachs

Titre original : Keep the Lights On

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Durée : 101 mn


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