JFK (1991)

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A travers le filtre de ses convictions, Oliver Stone dresse le portrait du plus gros scandale du XXème siècle, et par ses maladresses, redéfinit ce qu’est l’engagement au Cinéma.

De la politique américaine au Salvador du début des années 1980 (Salvador), au naufrage Vietnamien (Platoon, Né un 4 juillet, L’année du Dragon), Oliver Stone, le réalisateur comme le scénariste, a très tôt su comment disséquer au mieux les fondements même de sa nation, des choix de sa politique et de la société qu’elle a engendrée. De la façon la plus directe qui soit. De l’intérieur.

Chacune de ses oeuvres qui précède JFK suinte déjà de ce regard acerbe porté sur l’Histoire des Etats-Unis, mais également de la sincérité bouillonnante d’un réalisateur amoureux de son pays. Pas question de repentance ou de pardon, juste comptent les faits et leur mise en lumière. Presque toutes ses oeuvres, jusqu’au récent W, semblent motivées par ce besoin de rappel. Ce devoir de dénoncer une vérité. Non pas LA vérité, mais une parmi tant d’autres : la sienne. Voilà le principal élément de controverse du Cinéma d’Oliver Stone, qui va ici exploser avec JFK. Le grand écart opéré entre une certaine objectivité attendue (et non pas promise) et une subjectivité de chaque plan. Aucune réserve, aucune retenue. Stone est concerné par son film car, citoyen américain, il est aussi son acteur. Le cas JFK, le mystère qui l’entoure, le mythe conspirationniste qu’il représente s’intègrent donc parfaitement dans une filmographie alors déjà très engagée. Et c’est en inspirant son scénario des ouvrages du personnage principal de JFK, Jim Garrison (On The Trail of the Assassins) et de Jim Marrs (Crossfire: The Plot That Killed Kennedy), qu’Oliver Stone va nous dresser la fresque de sa vérité.

L’incroyable générique d’ouverture et son montage choc contient en cinq minutes l’essence même de la controverse que va provoquer JFK, dans le sens qu’il illustre parfaitement l’angle d’attaque choisi par Stone. Images d’archives, extraits de journaux TV d’époque au format 4:3 et voix off se trouvent mêlés à des scènes spécialement filmées pour le film. Même format d’image, même grain " d’époque " : dès les premiers plans du film, Stone brouille les pistes et mélange Histoire et fiction pour ne plus former qu’un tout unique et subjectif. C’est ce genre de parti pris, cette envie de flirter avec le documentaire sans pour autant en assumer le caractère rigoureux, qui va voir polémistes et historiens de tout genre monter au créneau pour défendre cette fois la vérité historique de l’assassinat de Kennedy (Gerald Posner en 1993 et son Case Closed : Lee Harvey Oswald and the assassination of JFK…).

Et même lorsqu’il se confrontera directement au genre du documentaire, lors de sa rencontre en 2003 avec Fidel Castro (El comandante), Oliver Stone ne pourra s’empêcher, à la manière d’un Michael Moore, d’intervenir plus qu’il ne le devrait à l’intérieur même du cadre. Ce qu’il y gagnera en percussion, il le perdra en pertinence. De même que pour JFK, Stone est trop passionné pour se contenter d’être le narrateur passif de ses oeuvres. Il doit tirer les ficelles, mais également être marionnette.

A travers la dynamique enquête du district-attorney, portée par une distribution sans faille et un montage justement récompensé aux oscars, Stone s’attache alors moins à dépeindre la mort de John Fitzgerald Kennedy et les raisons de son assassinat, que la recherche de la vérité et la quête de son pèlerin Jim Garrison. Homme de bien, homme de paix, enfant et symbole de la nation, Kennedy se retrouve comme canonisé derrière la caméra de Stone et très vite réduit à une idée, à une image diaphane, omniprésente mais diffuse. Incarnation du changement, épargné de tout regard critique, il est opposé à un successeur diabolisé, lui, Lyndon Johnson, représentation de l’échec du Vietnam et acteur passif de la mort de Kennedy. L’importance de JFK n’est à aucun moment dans la nuance mais dans le constat profond de Stone sur la naissance de la désillusion américaine. Par l’assassinat de Kennedy mais aussi par celui de son frère Bobby, en direct à la télévision, et du pasteur Martin Luther King la même année – 1968. C’est de l’écroulement des institutions que Stone fait le portrait, mais aussi de l’enterrement d’une certaine esquisse de changement de la société et des mentalités.

Malléable, car moins frappé de la marque Historique de l’affaire, Garrison est le Don Quichotte moderne idéal, au travers duquel Stone va se mettre en scène. Luttant contre les institutions, les médias, ses amis, sa famille, Garrison fonce au devant de moulins trop grands pour lui, et vers une défaite annoncée, qui se concrétisera lors du dantesque procès qui verra la commission Warren sortir vainqueur. Mais le but véritable de Garrison, tout comme celui de Stone, n’est ni de gagner ni de perdre, plutôt d’alerter l’opinion public et de lui prouver à quel point elle est facilement manipulable. La scène présentant la réalisation d’un photo-montage d’Oswald résonne comme l’écho parfait des trucages vidéos opérés par Stone dès les premières minutes de son film. Moins une contradiction qu’un clin d’oeil amusé d’un réalisateur manipulateur mais pas dupe.

Plus encore que la réussite cinématographique de ce qui est sans doute l’un des films les plus ambigus et aboutis d’Oliver Stone, ce sont les résonnances politiques et sociales qu’a eu JFK aux Etats-Unis qu’il faut mettre en avant ; comme la continuité du travail de Jim Garrison. L’adoption en 1992 par le Congrès du « President John F. Kennedy Assassination Records Collection Act »(JFK Act), ordonnant la réunion et l’ouverture de tous les dossiers se rapportant à la mort du Président, est directement liée à l’oeuvre de Stone. Et si aujourd’hui encore, 70 % des Américains n’adhèrent pas aux conclusions de la commission Warren, c’est sans doute en partie dû au traitement personnel qu’a fait Stone de l’affaire JFK. C’est cela aussi, ce qu’on appelle l’engagement. La fin de la plaidoirie de Garrison sonnant comme l’ultime requête d’Oliver Stone à une réaction quelle qu’elle soit: « It’s up to you».


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