Je suis un cyborg

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Le titre français, malencontreusement rogné, déplore encore une fois les conséquences d’une traduction inexacte sur l’univers d’un film. Si l’on se contente de lire le titre français, Je suis un cyborg attire peu de curiosité. Titre banal pour une histoire de robot narcissique ?! A l’inverse -et pour si peu- le titre anglais (c’est-à-dire le […]

Le titre français, malencontreusement rogné, déplore encore une fois les conséquences d’une traduction inexacte sur l’univers d’un film. Si l’on se contente de lire le titre français, Je suis un cyborg attire peu de curiosité. Titre banal pour une histoire de robot narcissique ?! A l’inverse -et pour si peu- le titre anglais (c’est-à-dire le plus direct après l’original en coréen), I ‘m a Cyborg, but that’s ok, s’avère plus authentique, recadrant le sujet du film dans son ensemble. Etonnante et incongrue, la nuance précisée a son importance. Le but interpelle sur la nature même des personnages : le « je » est-il véritablement cyborg ? Déplore-t-il cette condition ?

Rectification apportée, on peut se concentrer sur l’histoire et constater son ampleur. Dans un hôpital psychiatrique, Young-goon est internée, persuadée d’être un cyborg. Elle refuse de se nourrir, mis à part de piles, et parle aux distributeurs automatiques. Il-soon, autre interne qui a le don de s’approprier la personnalité des gens qu’il observe, tombe amoureux d’elle et l’aide. Va-t-elle retrouver la réalité ?

Loin des polars angoissants de ses dernières réalisations, (Old Boy, Lady Vengeance …), Park Chan-Wook se tourne vers le conte semi-futuriste, enfantin, joyeux et non dénué de sens. Servi par un casting jeune et convaincant, une réalisation dynamique, Je suis un cyborg plait pour sa fausse désinvolture, utilisant habilement le genre de la comédie romantique et du récit de science-fiction pour aborder un thème alarmant. Nuances et fausses pistes comme le but du titre anglais…

Introduit dans une usine d’ouvrières travaillant à la chaîne, on pense que le cyborg renvoie à l’homme déshumanisé et exploité par l’industrie. Une minute plus tard, le spectateur atterrit dans un hôpital psychiatrique. Changement brusque et inopiné aussi bien par le lieu que par les couleurs, passant du rouge dictatorial des blouses au blanc innocent des internes, Je suis un cyborg laisse dubitatif.

Petit à petit, se laissant convaincre par les personnages secondaires hors du commun et la débauche de couleurs pastel, le film devient plaisant et attachant. Sur une musique jazzy, on imagine être dans une cour de récréation où se chamaillent de grands enfants. Caméra virevoltante, personnages pittoresques et sensibles, décor chamarré, héroïne comparable à une poupée de porcelaine, tous les atouts cinématographiques réunis ici réjouissent et enchantent.

Cette première partie est-elle un leurre ? Basculant dans un rythme plus calme, se situant dans des paysages immenses et verdoyants, loin de l’agitation de l’hôpital, le réalisateur coréen dérobe cet aspect loufoque pour soutenir un discours plus grave sur l’anorexie. Le génie de Park Chan-Wook est de ne pas dénaturer son point de départ. Conjuguant burlesque et discours concret, Je suis un Cyborg se relit en symboles. Le cyborg est la métaphore de la sensation de différence, les piles comme nourriture sont l’espoir de trouver de l’énergie, le dentier à apporter à la grand-mère devient l’obstacle et la quête de réconciliation avec les autres… Profondément humain, douceur et mélancolie envahissent le spectateur avec une intensité émotionnelle.

Dire que le film se résume à son titre tronqué serait faux. Je suis un Cyborg se base essentiellement sur le doute, la tromperie et l’étrange. Park Chan-Wook emploie un langage imagé, une grammaire formelle créatrice et deux genres attrayants pour révéler le passé de l’héroïne et son mal-être. Au titre de film le plus novateur, attribué lors du festival de Berlin, il mérite aussi les termes de dépaysant, émouvant, incongru et captivant.

Titre original : Saibogujiman kwenchana

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Durée : 105 mn


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