I Wish I Knew, histoires de Shanghai

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Avec I wish I knew, histoires de Shanghai, Jia Zhangke tire le portrait d’une ville qui n’en finit pas de se transformer, tournée vers l’avant mais engluée dans ses paradoxes.

Il y a, au début de I wish I knew, ce plan sur une jetée jonchée de débris dominant le port de Shanghai. Au milieu des décombres émerge, fièrement dressé sur ses pattes avant, un lion chinois de bronze qui évoquerait plutôt en France l’entrée d’un restaurant asiatique mais suggère ici la force d’une ville en perpétuelle évolution. Par la suite, la mégalopole n’apparaîtra qu’ainsi, comme n’en finissant pas de surgir des ruines de son propre passé, lieu paradoxal où les tours qui semblent crever le ciel s’effacent derrière les vastes usines désaffectées. Pour son nouveau film, le prolifique Jia Zhangke, chef de lance à son corps défendant de la sixième génération de réalisateurs chinois, prolonge son observation des mutations de la Chine en général et de Shanghai en particulier. Dans 24 City, en sélection officielle à Cannes 2008, il revenait sur la ville de Chengdu comme berceau industriel de la Chine, écartelée entre nostalgie du socialisme et désir d’aller de l’avant. Dans I wish I knew, Shanghai s’appréhende en tant que cité portuaire mégalo, gonflée d’ambition, désireuse de muter première puissance industrielle mondiale mais dont la croissance bute encore sur son histoire passée et récente.

C’est à cela que s’attache Jia Zhangke avec brio. En brossant le portrait de 18 individus ayant vécu (à) Shanghai, il croque la ville comme personne avant lui, en même temps qu’il dégage un enseignement de ses enjeux plus captivant que n’importe quel précis d’histoire. Si I wish I knew est tellement réussi, c’est qu’il est brillamment articulé entre documentaire à proprement parler et considérations visuelles jamais laissées de côté. D’un côté, 18 personnes, toutes bouleversantes, déroulent une foule d’anecdotes véridiques qui font naître une image précise de ce qu’a été la ville et de ce qu’elle est devenue. De l’autre, un souci esthétique constant offre des images saisissantes, qui rappellent par instants les plus beaux passages de Paysages manufacturés. Jia Zhangke capte des scènes éphémères qui font la ville, soigneusement orchestrées ou saisies à la volée. Une terrasse de café bondée, un ouvrier qui rentre chez lui harassé par les heures de travail, un jeune garçon qui provoque en duels enfantins ses voisins de quartier : autant d’occasions d’insuffler sens de la mesure et humanité à une mégalopole qui en manque souvent cruellement. Cette alliance parfaite de vérisme et de procédés de cinéma est le plus bel atout du réalisateur. Refusant toujours de choisir entre fiction et documentaire, il peut ainsi tisser un film aussi pertinent visuellement que riche d’un témoignage historique.

Ce témoignage est cher à Jia Zhangke, qui poursuit sa volonté de rendre compte de la fuite en avant engagée par la Chine, et de rétablir une certaine vérité dans un pays où la démocratie et l’information continuent d’être mises à mal. Pour ce faire, il convoque des enfants de militants communistes tués dans les années 30 et 40, un ouvrier ayant fait fortune en spéculant sur les bons trésors dès leur introduction en bourse, ou des artistes comme Hou Hsiao Hsien qui, à son instar, ne cessent de faire des développements de la Chine le point focal de leurs œuvres. Ces témoignages, peu ou pas mis en scène, il les livre tel quels, sans faire preuve d’une quelconque volonté de représentativité. Chacun des 18 intervenants s’exprime comme il l’entend, dans ses mots, qu’on sent souvent pesés, difficiles à faire sortir. Mais si le film interroge constamment le passé pour comprendre les bouleversements qui secouent Shanghai et le pays de manière plus globale, il est entièrement tourné vers l’avenir du pays – sa jeunesse. Ce n’est pas pour rien qu’I wish I knew s’achève sur Han Han, auteur à 28 ans d’une quinzaine de romans à succès, fièrement provocateur, qui déchaîne les passions sur son blog, l’un des plus lus au monde. Egalement pilote de rallye à ses heures perdues, il lance, presque insolent : "Pour l’instant, j’écris des livres mais je me considère plutôt pilote. Quand j’aurai atteint un niveau professionnel, je pourrai dire que non, tout compte fait, je suis bien écrivain." C’est cette même liberté que Jia Zhangke espère follement voir triompher en Chine, lui, le cinéaste presque historien, qui n’aime rien tant qu’enjoliver le quotidien pour en livrer sa représentation la plus brute.

Titre original : Haishan Chuanqi

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Durée : 118 mn


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