I Used To Be Darker

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Baltimore et la torpeur de l´été dans un troisième film à la beauté lancinante.

Le cinéma de Matthew Porterfield a quelque chose d’impressioniste : il avance par touches, est fait de choses fugaces et a priori anodines. Il s’intéresse au mouvement, au côté non figé des événénements, aussi microscopiques soient-ils. I Used To Be Darker est son troisième long métrage et le deuxième à nous parvenir après Putty Hill (2011), Hamilton (2007) étant resté inédit de ce côté-ci de l’Atlantique. Pour point de départ, l’arrivée à Baltimore d’une jeune adolescente irlandaise, Taryn, dans la maison de ses oncle et tante Bill et Kim. Ils sont en train de se séparer, sans haine ni violence mais avec la conscience du temps qui a passé et a fait se creuser des différences irréconciliables. Leur fille Aby compte les points, vit mal le divorce à venir et l’irruption de sa cousine. Dehors, c’est l’été, on porte des shorts et des robes à fleurs – la saison sied mal à la tempête qui se joue à l’intérieur. Avant de débarquer à Baltimore, Taryn a fait des petits boulots à Ocean City, qui n’a d’exotique que le nom et la mer qui la borde : c’est une fausse ville, une ville-Erasmus, porte d’entrée aux jeunes étudiants étrangers qui viennent découvrir les Etats-Unis.

I Used To Be Darker parle de ça, de ces moments où l’on se sent flottant, un peu mort dedans. Il est question de mauvais timing : “Tu n’es pas arrivée au bon moment”, dit Kim à sa nièce. Ce n’est pas vraiment la meilleure période pour Taryn non plus, elle est enceinte, ses parents la croient au Pays de Galles. Aby a décidé de détester sa mère, Bill essaye tant bien que mal de faire le trait d’union. Matthew Porterfield dresse ainsi une galerie de portraits un peu déprimés, mais sans aucune amertume, dans le tempo lent qu’on lui connaît depuis Putty Hill, qui laisse le temps à un panel d’émotions de se déployer sur la durée. Il faut un peu de patience pour y entrer complètement : l’attente en vaut la chandelle, elle permet aux plans du cinéaste de faire advenir les petits accidents, les miracles hors champ. Ici, un baiser volé dans un bus abandonné ; là, deux épaules qui se frôlent alors qu’elles s’étaient tenues trop longtemps éloignées. On peut trouver l’ensemble statique, c’est pourtant la durée nécessaire à l’éclosion de ce que veut montrer Porterfield, notamment de la ville de Baltimore : “les bruits de l’été, la qualité de la lumière, […] l’industrie somnolente”, comme il les décrit en dossier de presse.

 

Le réalisateur a co-écrit le scénario de I Used To Be Darker avec Amy Belk, dont il a partagé la vie quelques temps. Ce n’est plus le cas, mais ils ont eu l’envie d’écrire une histoire sur le divorce, qui est “autant un commencement qu’une fin pour les […] couples concernés et pour leurs proches”. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles le film a des accents si réalistes, même s’il éloigne plus du naturalisme que Putty Hill, qui était entrecoupé de scènes documentaires, des bouts de “vrais” interviews menés par Porterfield. C’est ici la musique qui prend une place prépondérante, vient dire ce qui a autrement du mal à sortir. Kim Taylor et Ned Oldham, qui interprètent Kim et Bill, sont tous deux musiciens à la ville, ce sont leurs propres compositions qu’on entend. Porterfield laisse, là aussi, tout le temps aux chansons, jamais coupées : manière de donner à écouter la voix de ces acteurs non professionnels, d’ailleurs plus à l’aise dès lors qu’ils sont derrière un micro. Cette place qu’il leur offre fait toute la beauté de I Used To Be Darker, suite de petits pincements au coeur, film d’un homme qui sait la tristesse du monde mais ne peut en extraire que la douceur.

Titre original : I Used To Be Darker

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Durée : 90 mn


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