Happy End

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Haneke nous propose, encore une fois, de soigner le mal par le mal.

Pour son nouveau film, Michael Haneke reprend le même principe que celui de Funny Games (1997) à l’époque : mettre en scène un sujet pour mieux le dénoncer. Vingt ans après, l’idée d’Haneke n’a pas changé d’un iota. Avec Happy End (dont le titre, faussement naïf comme l’était Funny Games, joue toujours sur l’inversion facile entre le contenu très sombre du film et son titre plus guilleret que jamais), il met en scène l’égocentrisme et l’aveuglement des bourgeois dans un drame familial glacial, lui-aussi aveugle du contexte dans lequel il prend place (ici, Calais et la crise des réfugiés).

La tour d’ivoire

Happy End narre les déboires d’une famille de bourgeois ayant fait fortune dans le bâtiment. Teinté d’un humour noir grinçant, le film passe d’un personnage à un autre et jongle au sein de leur déprime collective. Anne Laurent (Isabelle Huppert), figure centrale de la famille, est coincée entre son frère Thomas (Mathieu Kassovitz) qui trompe sa femme, son fils Pierre (Franz Rogowski) qui refuse de reprendre l’entreprise familiale, sa nièce Eve (Fantine Harduin, seule révélation du film), dépressive et son père Georges (Jean-Louis Trintignant), suicidaire. À regarder, cette joyeuse galerie de personnages se révèle, sans surprise, plus désespérante que passionnante. C’est l’objectif d’Haneke : nous imposer le spleen de ces bourgeois devant leurs assiettes dorées et reléguer les migrants au rang de passants flous en arrière-plan, sur une plage ou dans la rue, pour mieux nous culpabiliser de nous intéresser, dans notre cinéphilie vaine, à ce qui ne compte pas. Le cinéma serait donc, pour Haneke, une véritable tour d’ivoire.
 

Haneke 2.0 ?

La différence principale avec ses précédents films réside dans l’épuration des scènes fortes qui faisaient – au même titre que la cruauté inhérente de ses films – la marque de fabrique Haneke. Celles-ci se comptent, tout au plus, sur le doigt d’une main : une discussion entre Eve et son grand-père et un banquet final assez grand-guignol, c’est tout. Manquant clairement de consistance, Haneke en vient à s’auto-parodier, disposant quelques clins d’œil ici et là à sa propre filmographie et à ses succès passés. En faisant explicitement allusion à son dernier film, Amour (2012), dont Jean-Louis Trintignant reprend le rôle, il révèle un aveu d’échec cuisant quant à sa capacité à rester au niveau de ses deux précédents films palmés d’or. On se surprend à deviner un Haneke peu inspiré, ne sachant pas trop quoi faire de son casting cinq étoiles, construisant un récit ciselé comme il sait naturellement le faire sans pour autant savoir de quelle manière combler le vide qui y règne. En outre, Happy End propose des idées qui, partiellement exploitées, paraissent carrément gratuites. L’utilisation des nouvelles technologies par exemple, periscope, snapchat et autres messenger (emblèmes de la communication 2.0), ne sont là que pour la provocation trash des messages très crus qui y sont échangés. Haneke ne propose pas de réflexion sur ces médiums mais prend un malin plaisir à se les approprier pour accentuer le malaise, vainement, en grand donneur de leçon dont la faiblesse de l’œuvre n’excuse donc en rien la prétention (l’ouverture du film, filmant la mort d’un hamster à travers un téléphone aura au moins le mérite de donner le ton).
 

En voulant ainsi, en bon moralisateur, tendre un miroir infect aux « bourgeois » venus s’amasser à Cannes pour voir son film, Haneke oublie que non, les déboires futiles de la famille Laurent ne nous intéressent justement pas plus que le destin tragique des migrants qu’il relègue dans le décor (sans doute parce que nous ne sommes pas tous aussi bourgeois qu’il le pense et que son portrait familial laisse, au-delà de ça, complètement indifférent). Vendre un film sur des bourgeois devant faire face à la crise des migrants à Calais et infliger au spectateur un film d’une indifférence totale au sort de ces derniers dans le but de nous ouvrir les yeux est à la fois vain et démagogique. L’épreuve de ces deux heures de vide aurait plutôt tendance à nous les fermer d’ennui, et ce, malgré toutes les qualités de cinéaste qu’Haneke démontre toujours, même avec ce Happy End.

C’est là que tout le principe théorique de Happy End tombe à l’eau : tendre le mauvais miroir de la mauvaise manière et prétendre s’investir d’une mission salvatrice. Un vrai flop plus qu’un choc donc, qui, au lieu de secouer une bourgeoisie bien trop indifférente au sort de ses prochains démunis, aura plutôt tendance à la conforter dans sa myopie désolante.

Titre original : Happy End

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Durée : 108 mn


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