Goupi Mains Rouges (1943)

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« Goupi Mains Rouges » connut à sa sortie un succès tant auprès des spectateurs que de la critique. Tourné en pleine Occupation,le film a conservé au fil du temps son talent de mise en scène et sa matière noire.

Dans la campagne française, le père Goupi, « Mes Sous » (Arthur Devere), attend le retour de son fils, « Monsieur » (Georges Rollin), venu de Paris, dans l’espoir de faire une union avantageuse en le mariant avec « Muguet » (Blanchette Brunoy). Chez les Goupi, chacun est appelé avec un surnom : il y a l’oncle, « Mains Rouges » (Fernand Ledoux), qui trafique avec « Tonkin » (Robert Le Vigan), il y a la raide et sévère « Tisane » (Germaine Kerjean), le grand-père « L’Empereur » (Maurice Schutz). Quatre générations réunies sous le même toit et dont l’arrivée d’Eugène « Monsieur » va perturber les jours, déclenchant mort et sournoiseries en tout genre. Tourné en 1943, en pleine période d’Occupation, produit par Minerva et non par la Continental dirigée par Alfred Greven et financée par les capitaux allemands, le film, adapté d’un roman de Pierre Véry (déjà transposé à l’écran avec Les Disparus de Saint-Agil, Christian Jaque – 1938) écorne pourtant l’idéologie vichyste et l’exaltation de la paysannerie promue par Pétain, en faisant un tableau cru de la cupidité des Goupi et drainant par moments une bonne dose de folie.

Les bons comptes font les bons amis

Dès le début du long métrage, l’argent fédère toutes les attentions, ou presque, comme il régit les rapports. Le champ lexical de la monnaie est omniprésent et ressort des bouches de l’auberge des Goupi. Les « bons comptes font les bons amis » et si « Mes Sous » ne se rend pas à la gare pour aller chercher son fils (qu’il n’a pourtant pas vu depuis vingt-cinq ans), c’est pour continuer à faire tourner l’auberge…et celui ci n’hésitera pas à sortir « L’Empereur » de son lit de mourant dans le seul but de lui faire désigner l’endroit de la maison où serait caché un mystérieux magot familial. Ce rapport maladif à l’argent n’est que l’un des traits de l’atmosphère détraquée qui plane sous le toit des Goupi et infecte chaque membre de la famille. L’acariâtre « Tisane » perdra la vie avec la même brutalité qui l’habite, tandis que le déchiré « Tonkin » se perd dans un désespoir fiévreux. Il n’y aura guère que le patibulaire et placide Mains rouges pour prendre du recul dans cette chronique paysanne amère, le seul par ailleurs détaché de la cupidité qui gangrène les autres. Jacques Becker ne cachait pas son intérêt pour les personnages dans la réalisation d’un film et la riche galerie de rôles, portés par de belles performances d’acteurs, en témoigne.

Sombre champêtre

Au-delà de la caractérisation soignée des personnages, Goupi Mains rouges distille une concoction opaque et menaçante, ainsi cette séquence de nuit dans la gare lorsque Mains Rouges, dans sa veste noire, va à la rencontre de Monsieur, puis le retarde chez lui de manière inquiétante. Dans une campagne sombre et brumeuse, à l’instar de la belle scène d’ouverture, l’oeuvre prend alors des atours de film noir (inserts sur des objets après que l’Empereur tombe inanimé, comme pour déjà répartir les indices) et la seule séquence de tranquilité champêtre est la touchante discussion entre Muguet et Monsieur dans les prés, dans un début d’échange amoureux. L’image, comme les visages des deux personnages, paraît alors d’une limpidité lumineuse. A part cette scène, on est loin ici d’un doux portrait de la paysannerie française. Ainsi de cette succession de plans en plongée filmant un Tonkin jusqu’au boutiste, devenu fou et grimpant aux arbres au plus près du ciel…Tout en modifiant par moments ses registres (les dialogues à l’auberge, l’humour de l’Empereur), le film dépeint une famille en vase clos, entre les intérieurs de l’auberge, l’obscurité du soir et la trop violente clarté du jour, où chacun sort à sa façon du cadre, comme pour faire sentir un poisseux déréglement planant au-dessus d’eux comme une épée de Damoclès.

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