Gold Diggers of 1933

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Une des premières comédies musicales américaines. Une féerie chorégraphique qui se joue de la crise économique. À voir ou à revoir!

Appréhender la comédie musicale américaine, c’est comprendre le système culturel à l’intérieur duquel elle se développe. Automne 1929 : la catastrophe du krach boursier met fin aux illusions nées de la “prospérité” des années vingt. L’Amérique est traumatisée : 12,6 millions de chômeurs recensés et le commerce international tend à se stabiliser à un niveau très déprimé. Nouvelle panique financière au seuil de 1933, lors de la transmission du pouvoir entre Hoover et Roosevelt. De nombreuses ruptures politiques sont imputables à la dépression : c’est aussi en 1933 qu’Hitler accède au pouvoir en Allemagne. La comédie musicale américaine fait ses premiers pas dans ce contexte de marasme et d’effondrement économique. Le chanteur de jazz (1927, Alan Crosland), avec seulement 281 mots prononcés, est le premier film parlant et chantant de l’histoire du cinéma. Malgré The Broadway Melody (1929, Harry Beaumont) et Love me tonight (1932, Rouben Mamoulian), ce n’est qu’en 1933 qu’apparaissent enfin les prémisses prometteurs du genre avec 42nd Street. Backstage comedie ancrée dans le contexte économico-politique, elle permet à Busby Berkeley de développer (déjà!) son talent “d’organisateur des corps”. Certes, il ne réalise que les numéros musicaux, mais son goût prononcé pour les Arts-déco, la géométrie et les kaléidoscopes, se combine avec une vision du monde humaniste et populaire : c’est une clef tendue au public qui ne limite pas la liberté du spectateur, malgré les odeurs de propagande sous jacente (protéger la patrie, exalter le pays). Cependant, seule l’histoire développe ce contexte fragile économiquement (la vedette du spectacle feint une attirance envers un vieux-riche afin d’assurer sa propre place et une contribution financière pour le producteur). Les numéros de danse, peu nombreux et situés seulement dans la dernière partie du film, évoquent d’autres choses (un voyage de noces, un moment de séduction, la vie de la 42ème rue).
   

Une volonté de dire le monde.

Il faut se tourner du côté de Gold Diggers of 1933 pour trouver très explicitement la traduction scénique du sentiment esquissé dans 42nd Street. Certes la tonalité est déjà donnée  par le titre du film, mais aussi dès le générique, où les visages des comédiens apparaissent dans des pièces de monnaie qui remplissent tout l’écran.  Enchaînement direct avec le numéro “We’re in the Money” qui assure la continuité diégétique par le thème et la prise de vues : plan épaule sur Fay Fortune (Ginger Rogers) qui, chantant les vertus de l’argent, envahit à elle seule le cadre. Malgré son large sourire on ne peut être dupe : il est bien question de problèmes économiques. La caméra recule, l’espace est de suite “pris d’assaut” par des dizaines de girls qui entonnent en chœur le thème musical: (court) vêtues de pièces d’or, leurs corps est une exposition de richesses superficielles. La tenue est brillante, légère, avec une overdose de strass, paillettes… une par une elles défilent en sortant d’une pièce géante à l’effigie du dollar avec un naturel assez déroutant . Comme si elle présentait une robe de mariée, Fay apparaît en fin de défilé pour reprendre son solo, toujours cadrée en plan épaule ; la caméra se rapproche doucement et pénètre petit à petit dans l’univers intime de la vedette jusqu’à arriver à un très gros plan sur son visage. Rapidement, comme par surprise, la caméra recule et, en changeant de plan, montre une rangée de girls effectuant des mouvements ondulatoires, des vagues, avec les pièces : comme la marée, l’argent, ça part et ça revient. Et ici, c’est plutôt marée descendante ! Il est temps d’enlever les costumes, et de les rendre ; cela semble injuste, voire révoltant, mais avec beaucoup de candeur et un brin de fatalisme, Fay, comme seule explication, lance à une de ses partenaires : “La dépression, ma chère”. La crise de 29, dans toute son atrocité, n’épargne personne et touche aussi le monde du spectacle : elle brise le rêve, une des plus grandes libertés de l’homme, ce qu’il a de plus personnel. On assiste au spectacle d’une société en pleine décomposition.

D’une manière générale, les Backstage Comédies, comédies de coulisses, brossent les difficultés d’une revue de Music-Hall à se mettre en place. C’est l’époque où les scénarii des comédies musicales cinématographiques se confondaient avec les comédies musicales de Broadway. Mais ce qui est intéressant et propre au cinéma, c’est de découvrir les coulisses de l’inaccessible. Montrer au spectateur que tout n’est pas si facile est un moyen de rappeler que, derrière les strass et les paillettes, c’est toute une équipe qui travaille :  donc tout un peuple à l’unisson qui doit avancer pour la reconstruction économique du pays.

Berkeley, c’est la danse des images. Mais dans ses films, on ne danse pas vraiment : on y évolue. Les ballets sont des songes aériens. C’est dans l’imaginaire, dans l’utopie, que l’homme doit trouver la force de danser sa vie.

   

Ironie et désinvolture: armes absolues contre la dépression.

Les Backstage Comédies rendent hommage aux grands spectacles de Broadway et au courage dont font preuve les protagonistes pour faire naître la magie scénique coûte que coûte. Le maître incontesté de ce style de musical est Busby Berkeley ; il se sert de la représentation théâtrale comme d’un point de rencontre entre réel et imaginaire, donnant lieu à des mises en scène grandiloquentes défiant toutes les lois. On se souvient de ces kaléidoscopes de girls formant des rosaces que l’on admire grâce à une caméra souvent en plongée verticale, on se souvient de cet ordre académique qui rend l’espace organisé, on se souvient de cette perfection de l’image dans la re-présentation du corps. Ce sont les premiers pas de la comédie musicale et il fallait sans cesse faire plus, comme pour prouver une sorte d’utilité du genre au sein du cinéma hollywoodien et mondial. Le talent de Berkeley ne s’exercera pas plus loin que cette période: Banana Split, son premier film en couleur et son dernier grand film, marque la fin d’une décennie de profusion de chair : l’overdose des corps en abondance s’est fait sentir, il est temps de laisser la place à plus de réel. Le foisonnement de girls n’est plus à l’ordre du jour. Même les vedettes de Berkeley, telles que Ruby Keeler ou Dick Powell, n’ont pas eu de suites réelles à leurs carrières comme pouvaient le laisser présager ces débuts prometteurs. Seule Ginger Rogers, que l’on voit, entre autres, dans Gold Diggers of 1933, réussit à “tirer son épingle du jeu”.

L’implication politique de la comédie musicale se situe dans l’éloge de la liberté, de la spontanéité ; ainsi, les valeurs esthétiques sont parallèles aux valeurs idéologiques. Les numéros musicaux, quelle que soit leur fidélité au quotidien, peignent une réalité claire et distincte, c’est le visage d’une culture. Les hommes collectionnent les femmes, et les femmes collectionnent les bijoux : la machine économique est parfaitement bien rodée. Mais c’est de manière officieuse que les jeunes femmes des trois Gold Diggers (1933, 1935, 1937) avouent leur intérêt pour l’argent. Ce désir est lié à une envie de vie facile aux multiples plaisirs, aux multiples jouissances. L’argent contribue à un accès à un monde nouveau, d’apparence plus beau puisque loin des soucis que causent les fins de mois difficiles. Ceci peut être une sorte de pouvoir sur autrui, au même titre que la beauté, mais pour cela il faut faire des sacrifices! Seules les apparences nous indiquent qu’elles sont des chercheuses d’or  (voir, entre autres, la séquence “We’re in the Money” dans Gold Diggers of 1933), car leur langage sème le doute. Comme le rappelle la chanson de Gainsbourg, « Jeunes femmes et vieux messieurs »: “Si elles n’ont pas d’argent, quelle importance/ De l’argent, ils en ont pour deux”.

        
Le poids du passé : mise en garde du genre.

“Rarement le film musical est allé aussi loin qu’ici dans la représentation d’une Amérique  désenchantée” (Patrick Brion, La Comédie Musicale, Paris, Édition de la Martinière, 1997, p. 59).  La séquence  “Remember  my  Forgotten  Man” (Gold Diggers of 1933) sonne comme un hommage aux héros oubliés de la première guerre mondiale ; plus encore, car, en 1933, les américains portent non seulement le poids des pertes humaines de 14-18, mais aussi celui de la situation économique. Dans cette séquence, une femme seule au beau milieu d’une rue est adossée à un réverbère ; la voix est isolée, tout d’abord en plan taille puis en gros plan sur son visage, son immobilité accentuant la valeur de ses paroles : elle accuse un “vous” que l’on devine. Sa voix résonne vite dans le cœur de toutes les autres femmes : la douleur de la perte, associée tragiquement à l’oubli, est insupportable, l’ensemble se fait l’écho de l’individu. Cette participation exprime l’universalité du moi, la conscience du caractère commun de l’expérience ; elles font chœur et trouvent par la même l’unité collective. La musique, saccadée, haletante, semble directement sortie des corps des soldats qui marchent au pas dans le défilé militaire, c’est comme un départ en croisade, irréversible. Et on les voit, ces soldats, partir vaillants sous les cris de la foule, sous la pluie… Cette pluie peut être vue comme métaphore des pleurs des femmes, et cette eau, par laquelle le mal arrive, produit son lot de souffrance ; en contre sens reviennent les blessés, les cadavres… Les gens font la queue pour la soupe populaire. Déchéance d’un peuple. Ingratitude d’une nation.

    Et puis l’écran se remplit de trois voûtes dans lesquelles des silhouettes de soldats avancent au pas : ils ne sont plus que des ombres, que des fantômes au pays des morts-vivants. Ces corps en abondance sont le reflet d’un mal qui met tout le monde à égalité : pas de cas particulier, mais une troupe que l’on a envoyé se faire tuer et qui reste unie malgré les pertes. Le plus troublant, ici, c’est qu’il s’agit de la dernière séquence du film : le mot The End” apparaît en fondu enchaîné, après le baissé de rideau. Le spectateur ne peut échapper à ce numéro, il devra s’en rappeler…

Titre original : Gold Diggers of 1933

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Durée : 96 mn


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