Gallipoli (1981)

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Une aventure de jeunesse, sacrifiée…

«I think there’s a Chinese proverb – it’s not the arriving at one’s destination but the journey that matters.  »

Cette phrase de Peter Weir pourrait résumer à elle seule la trame narrative de Gallipoli. Alors que cette ville turque de la péninsule Balkanique est le lieu d’un des affrontements les plus sanglants de la Première Guerre mondiale en 1915, le film débute à des milliers de kilomètres d’ici, au fin fond d’une Australie paisible. Il s’agit alors pour Peter Weir de combler la distance entre ces deux points, au gré des aléas du voyage des personnages qu’il met en scène. Le chemin à parcourir est considérable, heureusement, nous n’avons pas à faire à n’importe quels voyageurs. Archy (Mark Lee) et Franck (Mel Gibson) sont deux coureurs d’exception, peut être les hommes les plus rapides et endurants du pays. Ils incarnent la jeunesse d’une Australie guère plus vieille qu’eux – se constituant en nouvel état fédéral en 1901 – la crème du pays, des jeunes aux capacités physiques telles qu’ils auront toujours un temps d’avance sur les autres. Le choix des protagonistes n’est pas anodin, l’image est même un peu lourde, comme celle nous montrant Archy cachant des coupures de journaux de guerre dans un livre intitulé Every boy’s book of sport and pastime. On l’aura compris, il n’a que faire du sport, et s’offrirait bien le meilleur des passe-temps en cette année 1915 : une bonne petite guerre. De son côté Franck n’est pas patriote pour un sou mais se laisse tenter par l’aventure, après tout, quand on a rien à faire, pourquoi ne pas rejoindre le front.

Les ficelles sont assez grosses, mais dès que Peter Weir les tire, le mouvement de nos héros prend du sens, et le film gagne en intérêt. Le cinéaste Australien nous invite à suivre les pérégrinations des deux hommes au sein de leur pays : le conflit mondial est encore bien distant. Les images de la guerre sont même détournés, loin des tranchées, le désert qu’ils parcourent pour rejoindre Perth a tout du no man’s land, pourtant ici l’ennemi ce n’est pas l’autre, c’est la nature (le soleil), c’est eux (leur soif). Cet entêtement à s’enrôler dans l’armée n’a d’égal que la scène de liesse lors du tant attendu départ en bateau. Dans ce long prologue en Australie, Peter Weir prend soin de retranscrire l’état d’esprit de son peuple s’en allant au front, de la même manière qu’on a pu le voir en France en août 1914, le départ se fait dans la joie, "la fleur au fusil". Le cinéaste prend lui même le parti de cette euphorie naïve, il alimente cette vision de la guerre vue comme une grande aventure, dans laquelle on voit du pays, on rigole avec les potes, on va au bordel… Cette troupe de gais lurons ne pense pas à la guerre, Peter Weir leur accorde donc du répit en la repoussant sans cesse.

« La Guerre n’est pas une aventure, c’est une maladie comme le typhus. »

Au dernier quart du film, après tant d’insouciance, c’est avec une grande appréhension qu’on voit se profiler le sol turc, et le choc d’une guerre qui a fait plus de 28 000 victimes dans le camp australien. Pourtant, on a l’impression que Peter Weir s’obstine à cacher les morts. Le débarquement nocturne dans la crique de l’Anzac, accompagné par la douceur d’un violon, est visuellement très beau, à tel point que, comme nous, Archy en a le visage émerveillé ; de fait, les explosions ressemblent d’avantage à des feux d’artifice qu’à des obus d’artillerie lourde. Plus tard, les bombes explosent au milieu du camp, sans affoler personne, chose difficile à concevoir tant ce contexte de guerre est nouveau pour cette armée, rendant inopérant l’argument d’une quelconque accoutumance à la violence. Il y a ici une vraie lacune quant au rendu d’une situation qu’on devine hautement anxiogène, l’ennemi est invisible, mais loin des hautes herbes de La Ligne rouge (Terrence Malick, 1998), son absence n’est ici pas source d’angoisse. Le premier coup de canon de l’offensive du Nek, dans le magnifique ciel crépusculaire de Gallipoli sonne comme un réveil pour Archy et Franck, dans cette séquence, l’une des plus belles du film, leur regard parle pour eux : ils ont compris, maintenant "il faut y aller". Toute la violence refoulée explose dans les dernières minutes du film, les colonels dépassés ordonnent de multiples assauts-boucherie, et dans cet enfer, un soldat seul ne peut rien, quelles que soient ses capacités individuelles. Franck, dans son rôle de messager, et au bout d’une course à suspens, ne parvient pas à faire circuler les ordres et à empêcher une ultime offensive suicide hors des tranchées. Cruel destin, son ami Archy fait partie de celle-ci, là encore sa vitesse le fera peut-être avancer plus loin que les autres, mais ne le protégera pas des balles.

Cette jeunesse glorieuse, naïve et va-t-en-guerre est fauchée dans la fleur de l’âge par l’absurdité des combats et de ceux qui les dirigent, tel est le message anti-guerre que nous délivre Peter Weir, six ans après la fin de la guerre du Viêt Nam. Son discours se veut pourtant optimiste, Franck est récompensé par son absence de patriotisme : il lui laisse la vie sauve.

Titre original : Gallipoli

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Durée : 110 mn


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