Faut que ça danse !

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Papi fait de la résistance.

Drôle de titre que celui-ci, qui mêle l’injonction à la légèreté dans un parfait condensé de l’esprit et de la lettre de ce quatrième film de Noémie Lvovsky. Faut que ça danse ! – anciennement L’Ami de Fred Astaire –, décide de narguer la gravité comme le ferait un vrai danseur de claquettes : en s’élevant et en retombant, mais avec élégance. Dans la famille Bellinsky, il y a le père, Salomon, qui refuse de vieillir et cherche une compagne. Il y a la mère, Geneviève, qui « s’allonge par terre et appelle les pompiers » quand elle reste seule trop longtemps. Et puis la fille, Sarah – dont la voix off nous sert de guide –, qui voudrait que rien ne change. Une histoire de famille en somme. Ou plus précisément, comme le dit François, le compagnon de Sarah, en parlant du Parrain (1972, 1974 et 1990) de Francis Ford Coppola, « quelque chose sur la tyrannie et l’amour de la famille », et la façon dont chacun s’en débrouille.

 

Le danseur du dessus

Le père, Salomon, c’est Jean-Pierre Marielle, avec qui la réalisatrice confie avoir eu des rapports difficiles durant le tournage : « Je suis peut-être fusionnelle avec les acteurs, j’aime les voir beaucoup, faire beaucoup de lectures, de répétitions… […] Marielle résistait à ce que l’on parle du personnage, à ce que l’on lise, que l’on répète… » Un comportement en adéquation totale avec le personnage qu’il interprète dans ce film : en résistance face au temps qui passe, face à ce que la société attendrait d’un homme de son âge. Salomon s’est créé un personnage comme en témoigne sa première apparition ; en tenue élégante, il s’adresse à sa femme en anglais. Comme le ferait un Fred Astaire qu’il admire et dont il sait les répliques par cœur, en attendant de faire de même avec ses chorégraphies grâce aux cours de claquettes qu’il prend. Même son patronyme est un nom de cinéma, choisi par la réalisatrice et sa co-scénariste en hommage à Ernst Lubistch et à sa Folle ingénue (1946). Adam Belinski y est un écrivain tchèque fuyant le nazisme mais surtout un séducteur fantaisiste clamant son droit de donner « des écureuils aux noix » quand tous donnent des noix aux écureuils. Quand le monde s’acharne à rappeler son âge à Salomon via une publicité pour des obsèques, le rejet de sa demande de contracter une assurance vie ou la mise en garde de son docteur regardant la durée de ses rapports sexuels, Salomon danse et passe des petites annonces dans les journaux pour rencontrer des femmes, si possible plus jeunes (« Vous dites pas d’âge ? » / « Blonde »). Surtout qu’elles ne lui rappellent ni son âge, comme celle-ci qui succombe à une crise cardiaque avant le rendez-vous, ni son passé, comme celle-là qui fût comme lui cachée pendant la guerre et qui se targue en plus d’avoir une très bonne mémoire.

« Monsieur Bellinsky, vous nous enterrerez tous. »

La mémoire, on ne peut pas dire que ce soit vraiment le truc de Salomon Bellinsky, lui qui manifeste être « juif quand [il] veut et où [il] veut ». Pas d’enterrements pour lui, pas plus que de pension d’orphelin de la déportation qu’il joue chaque mois au casino et encore moins de concession dans un cimetière juif ; plutôt donner son corps à la science. Le passé, les commémorations non merci, et comme le dit sa fille : « Débrouille-toi avec ça ». Elle, a choisi de croire son père éternel. Et de le croire tout court, même quand il lui racontait chaque soir avant de s’endormir qu’il avait égorgé Hitler dans son sommeil, dans son pyjama rose à grosses croix gammées, après s’être introduit dans sa chambre (à motif croix gammées) par la cheminée. Une forme d’évitement donc, à laquelle deux choses mettront fin : la grossesse de Sarah, aussi incrédule que son homonyme biblique, et l’arrivée de Violette (Sabine Azéma), ancienne prof d’histoire aussi blonde que farfelue, dans la vie de Salomon. « Pour moi [raconte Florence Seyvos, la co-scénariste du film], le cœur du film est là, dans la peur puis l’acceptation du mouvement de la vie. Et la famille constitue le théâtre vivant de ce mouvement puisqu’il y en a qui vont partir, et d’autres qui apparaissent. » Salomon vivra une drôle de relation avec Violette – dans des plans que l’on dirait parfois sortis d’une comédie musicale –, jusqu’à élaborer avec elle un projet d’avenir inattendu, tandis que Sarah trouvera enfin une forme de légèreté après son accouchement dans un hôpital psychiatrique.

Jean-Pierre Marielle (nominé au César du meilleur acteur 2008), qui parvient tantôt à charmer quand il séduit Sabine Azéma tantôt à émouvoir par un simple geste de recoiffage, retrouve ici un rôle qui rappelle celui de M. Popernick dans Demain on déménage (Chantal Akerman, 2003). Cet agent immobilier qui sentait comme une odeur de Pologne dans tous les appartements qu’il faisait visiter. Comme chez Chantal Akerman, les appartements de Faut que ça danse ! ressemblent à des espaces de transit. Et comme Sylvie Testud, Valeria Bruni-Tedeschi incarne une fille paralysée par l’histoire traumatique de sa famille. Mais chez l’une comme chez l’autre – dans ces deux films –, la fantaisie désamorce le drame, sans jamais le camoufler totalement.

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