Entretien avec Laurent Achard

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A l’occasion de la sortie du film Le Dernier des fous

Votre scénario est adapté du roman de Timothy Findley The Last of the crazy people. Le travail d’adaptation a-t-il été difficile ?

Laurent Achard : Ce qui m’a immédiatement plu dans le roman de Findley, c’est son atmosphère de tension, d’oppression, voire de terreur qui se dégageait de cette histoire. J’ai tenté de conserver cet aspect, mais j’ai transposé le milieu petit-bourgeois des années soixante dans lequel se déroulait l’histoire dans la France rurale d’aujourd’hui, et j’ai modifié certains personnages pour concentrer le récit sur Martin.

Dans votre premier film, Plus qu’hier moins que demain, qui fonctionne comme une galerie de portraits, il y a un personnage qui retient l’attention, celui du gamin. Peut-on voir dans ce personnage les prémisses de Martin du Dernier des fous ?

Laurent Achard : Dans Plus qu’hier moins que demain, tout comme dans mon court-métrage La Peur, petit chasseur, les enfants absorbent la violence sans passer à l’acte. Martin, lui aussi, agit comme une « éponge », il absorbe la violence des personnages qui s’agitent autour de lui. Mais la grande différence, c’est qu’il réagit cette fois à la violence, qui lui arrive de manière directe et brutale. Finalement, la question posée par Le Dernier des fous pourrait être celle-ci : comment, et jusqu’où, un enfant de 10 ans peut-il subir la violence du monde qui l’entoure sans passer à l’acte ? Le film fonctionne dès lors comme une tragédie, car on ne met pas longtemps à deviner la réponse apportée par Martin.

Pourtant, dans le monde assez sombre du Dernier des fous, deux personnages, le frère et la bonne, ressortent nettement car ils sont les seuls à offrir un peu d’affection à Martin.

Laurent Achard : Le frère, Didier, est un personnage torturé, sans horizon. Il évolue lui aussi sans repères, sur le fil du rasoir. C’est donc autour de cette détresse que les deux frères se retrouvent. Didier essaye de protéger son petit frère, en lui faisant par exemple la lecture de Dickens, mais il est tellement prisonnier de ses propres démons, qu’il finit par entraîner Martin dans son désespoir. Quant à Malika, la bonne, elle ne fait pas directement partie de la famille. Elle peut donc prendre plus de recul par rapport aux événements et se rendre plus disponible. C’est donc vers elle que se tourne Martin.

Didier est une reprise du personnage de la grande sœur dans Plus qu’hier moins que demain ?

Laurent Achard : On peut effectivement voir une filiation entre ces deux personnages, qui sont un peu des « faux modèles ». Dans Plus qu’hier moins que demain, la petite sœur a elle aussi beaucoup d’admiration pour sa grande sœur. Mais cet écho entre les deux films est assez inconscient, car je ne pense jamais un film par rapport au précédent.

Quant à la bonne, elle figure le réconfort ?

Laurent Achard : Dans le roman de Findley, la bonne est noire. J’en ai fait un personnage d’origine maghrébine, choix purement personnel, car elle aurait pu être d’une toute autre origine. En tout cas, je voulais qu’elle reste « l’étrangère », au sens propre, mais aussi figuré, puisqu’elle représente l’humanité absente de la famille. Elle adoucit la réalité aux yeux de Martin, tente de le protéger. C’est la seule qui sera « épargnée » par la mort.

Et c’est elle qui prononce les derniers mots du film : « C’est fini Martin, c’est
fini »
. Le dénouement apparaît insondable, on peine à trouver sa signification.

Laurent Achard : La fin reste très concrète. Après, c’est au spectateur de voguer lui-même entre réalisme et symbolisme. Prenons le début du plan séquence final : la mère réapparaît, contre toute attente, comme s’il s’agissait là d’une résurrection. Le fait est qu’elle est bel et bien là, après, on peut interpréter cette présence de différentes manières, peut-être répond-elle à un « appel de la mort », ou bien est-ce une sorte de sacrifice, comme si elle signifiait à son fils : « Tu peux y aller ».

On ne peut s’empêcher de voir en Martin un « ange de la mort », mais difficile de donner le sens véritable de son dernier geste.

Laurent Achard : Il est clair que l’on sent le drame poindre assez tôt, en fait dès qu’apparaît Martin à l’écran. Le dénouement fait écho à la première phrase du film, quand Martin dit à son instituteur : « Je veux redoubler ». C’est la peur de l’inconnu, qui guide ces paroles. Martin vit sans repères, et n’arrive pas à comprendre, à saisir ce monde qui lui échappe. Le dénouement, on peut donc le voir de manière sombre, comme une sanction, une fatalité ; mais aussi de manière moins « pessimiste », car il y a peut-être aussi l’idée d’une libération, d’une échappée hors du réel.

A chacun donc de s’approprier la dialectique entre espoir et souffrance qui semble se jouer dans cette fin ?

Laurent Achard : Oui, chacun ressentira cette fin selon sa sensibilité. Certains même vont jusqu’à la refuser, car ils ne peuvent concevoir un tel acte. J’ai filmé Le Dernier des fous comme on lirait un fait-divers : on ne connaît pas tous les tenants et aboutissants de l’histoire, mais on ne peut pas s’empêcher d’imaginer et d’interpréter. On a besoin de cela pour comprendre et saisir ce qui nous échappe. Lorsque le film débute, on ne sait rien du passé des personnages, et il ne nous en révèlera pas beaucoup plus ultérieurement. C’est pour cela que j’attache beaucoup d’importance aux lieux, aux décors, aux costumes ou au physique des acteurs, car ils doivent laisser deviner au spectateur ce qui n’est pas dit. Le film s’ancre dans le réel pour ensuite tendre vers une abstraction. Ce qui l’empêche, du moins je l’espère, d’être réduit à une seule interprétation, et laisse ainsi au spectateur une marge suffisante pour qu’il se fasse lui-même sa propre opinion.

Votre film est donc ancré dans le réel, ce qui n’empêche pas certaines séquences d’être très stylisées, on pense au plan du frère appuyé sur la cheminée ou à la séquence finale.

Laurent Achard : Oui, il y a ce plan où le frère s’appuie contre la cheminée, et sa tête disparaît. Cela fait partie de ces images qui n’étaient pas prévues. C’est Pascal Cervo, en jouant la scène, qui a fait apparaître cette image. Elle collait tellement bien au personnage et à ce qu’il vivait que je l’ai gardée. En ce qui concerne le dernier plan séquence, la stylisation procède d’une volonté de ne pas filmer la violence au premier degré. Car la filmer frontalement, ce n’est pas ce qu’il y a de plus intéressant. Je préfère toujours suggérer plutôt que montrer.

L’économie de paroles explicatives est-elle motivée par les mêmes raisons ?

Laurent Achard : Oui, j’essaye de tendre le plus possible vers l’économie que ce soit dans les dialogues, les costumes ou le jeu des acteurs. Je gomme tout ce qui n’est pas nécessaire au récit. Le résultat est donc forcément stylisé, mais cela ne me fait pas peur car j’essaye autant que possible d’échapper à toute forme de naturalisme. Et puis aussi, mais ça c’est une raison très personnelle, je n’aime pas voir les enfants parler au cinéma, car lorsqu’ils parlent, ils jouent, et quand ils jouent ça sonne généralement faux, sauf évidemment chez Pialat ou chez Kiarostami, mais ce sont les exceptions qui confirment la règle.

Est-ce que votre scénario était lui aussi très libre ?

Laurent Achard : Pas du tout. Le scénario était très écrit. Le problème, c’est que dans les scénarios, on est obligé d’en dire beaucoup plus. Par contre, je connais les coupes à l’avance, et je ne filme que ce que je vais monter. Ce qui permet, lors du tournage, d’éluder des pans entiers du scénario et de se concentrer seulement sur les scènes qui m’intéressent, c’est-à-dire celles qui peuvent être filmées uniquement avec le langage cinématographique. Le cinéma est l’art de l’incarnation. Les paroles ne sont donc pas toujours nécessaires ; parfois, un geste, un son, un mouvement de caméra suffisent pour faire passer une idée, une sensation. Ce n’est pas facile à obtenir, mais lorsqu’on y parvient c’est une vraie récompense, et malgré toutes les difficultés, on se dit que cela en valait vraiment la peine !

Propos recueillis en décembre 2006 par François-Joseph Botbol et Kim Berdot.

Titre original : Le Dernier des fous

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Durée : 96 mn


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