Entretien avec Isabelle Vanini

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La programmatrice Isabelle Vanini revient sur le cycle « Noir Lumière » à l’affiche jusqu’au 23 mai et sur le rôle du Forum des images. Conversation avec une passionnée du noir et du cinéma.

Comment est né ce cycle Noir Lumière ?

En 2000, on avait fait un thème sur la couleur rouge. C’est la première fois qu’on s’attaquait à un thème métaphorique, plus conceptuel. Au Forum des images, on a l’habitude de traiter des thèmes plus sociologiques, historiques. On avait envie de refaire cette expérience de la couleur au cinéma et on a pensé à la couleur noire, hautement symbolique, hautement cinématographique. Rapidement, on s’est dit qu’on construirait ce thème autour des grandes symboliques du noir. Toute la première partie se veut avoir une connotation positive : le noir chic, l’élégance… Le noir n’est pas que la peur, la mort, la tristesse, le désespoir. Puis arrivent le noir autoritaire et le noir rébellion. La deuxième partie débute sur un chapitre noir néfaste avec une conférence sur la couleur noire pour identifier les méchants au cinéma. On pense par exemple à Dark Vador ou à des grands méchants qui comme par hasard sont habillés tout en noir. On aborde la noire animation avec une intervention d’Ilan Nguyen sur les créatures noires chez Miyazaki. Ensuite vient le noir de  crasse, et on termine par le Festival France Noire pour parler de la place des Noirs dans la société française et au cinéma.

Avec plus de 130 films, c’est une programmation fleuve.

 

On balaye une filmographie assez variée. J’essaye toujours d’axer des classiques avec du cinéma plus récents et aussi d’avoir des films plus rares comme Les Vilains Petits Canards de Constantin Lopouchanski qui n’est jamais sorti en France, mais a beaucoup marqué les esprits lors de festivals ou Les Larmes du tigre noir de Wisit Sasanatieng… L’idée est aussi d’éviter une dichotomie franco-américaine, d’aller chercher d’autres filmographies.
Il y a aussi les difficultés de se procurer des copies en 35mm puisqu’on fait ce choix de format-là ; pas de dvd, on ne sous-titre pas virtuellement car ça coûte très cher. Donc parfois on ne peut pas reprendre certains films pour ces raisons. On abandonne un certain nombre de films parce qu’on ne trouve pas l’ayant droit, parce qu’il n’y a plus de copies en France, parce qu’on ne sait plus qui a les droits… Il y a d’ailleurs des choses étonnantes. Je voulais programmer Control d’Anton Corbijn et le film est bloqué actuellement. On ne peut pas le programmer. Ce ne sont pas nécessairement les films anciens, qu’on peut encore trouver en cinémathèque, qui sont nécessairement les plus difficiles à avoir. Il y a toujours quelques regrets sur des films qui manquent à l’appel. Mais globalement, sur Noir Lumière, il n’y a pas eu trop de difficultés.


Mais le noir n’est pas seulement dans l’image, il est aussi constitutif du cinéma en tant que tel.

 

Je voulais aborder la question du noir dans le langage cinématographique. Au départ, j’avais pensé avoir tout un axe sur la question : la pellicule, comment travailler le noir dans le cinéma muet, ouverture au noir, fermeture au noir… C’était un peu pointu. J’y ai renoncé avec regrets. Mais il fallait quand même parler de cinéastes qui ont réfléchi le noir autrement et qui ont fait des expériences extrêmes. Il y a une journée « expérimentations cinématographiques » autour du noir où on va montrer des films comme Blanche-Neige de Monteiro dans lequel l’écran reste totalement noir pendant la quasi totalité du film, le film de Duras L’Homme atlantique… Pour faire réfléchir le spectateur sur ce que peut être le noir au cinéma. A chaque fois on essaie d’avoir des intervenants qui viennent éclairer d’un discours ces films. Un film est choisi avec un intervenant qui va pouvoir expliciter le discours qu’il y a derrière.

La programmation accueille des intervenants divers. Pas nécessairement des gens du cinéma.

Cela dépend des thèmes. Il y a toujours des spécialistes de cinéma. Sur La Mort, on a aussi fait intervenir des neurologues, des infirmières qui accompagnaient des gens en fin de vie. Depuis notre création, on a toujours fait réagir des corps de métiers différents du cinéma. Le cinéma parle à tout le monde et croise les savoirs de chacun. Parfois ça marche, parfois ça ne marche pas. Sur le noir chic, c’était évident qu’il fallait un créateur comme Chantal Thomass. J’aurais pu faire venir juste un historien de la mode. Mais j’avais envie de faire réagir un créateur. Ils voient des films, ils ont des marqueurs cinématographiques car il est difficile d’échapper à l’image. Mais il y a aussi des critiques de cinéma. On mixe deux types d’approches.

Le noir est un sujet très fertile en histoire de l’art aujourd’hui. Est-ce qu’on peut parler d’effet de mode sur le noir au cinéma ?

Ce thème, on y a pensé il y a cinq ou six ans. Il n’y avait pas cette idée du moment parfait pour le cycle. C’est vrai qu’il y a eu l’exposition Pierre Soulages au Centre Pompidou. On n’aurait pu programmer le film sur Soulages qui est dans nos collections. Au cinéma, à part dans l’animation dans laquelle il y a eu un mouvement clair et net avec Renaissance, Peur(s) du noir, Persepolis… Si, il y a eu Sin City et The Spirit qui sont des expériences assez extrêmes. Sinon je n’ai pas constaté qu’il y avait une mode, un engouement ou renouveau du noir. Le noir a toujours été et continue à être utilisé comme une couleur hautement symbolique par les cinéastes.
  
Sin City, F. Miller, R. Rodriguez & Q. Tarantino (2005) et Peur(s) du noir, collectif (2007)


Est-il difficile de programmer le cinéma muet aujourd’hui ?

J’adore le cinéma muet, j’en ai beaucoup programmé. J’ai co-signé le cycle Désir où on avait voulu une approche chronologique du cinéma avec une première semaine muette. Même en programmant de vraies raretés, en les faisant venir de très loin, avec ciné-concerts et intervenants, on a du mal à faire venir les gens. Même si on n’est pas une salle commerciale tenue à une rentabilité et à un nombre minimum de spectateurs, on y réfléchit quand même à deux fois. Il doit y en avoir deux ou trois dans la programmation, dont le Faust de Murnau. Je trouve que le public vient de moins en moins vers ce type d’expérience. Je ne sais pas si c’est l’économie du dvd qui a fait que tout finit par sortir dans des éditions souvent non restaurées et exécrables, même s’il y a des éditions magnifiques où l’on redécouvre un film. Tout sortant en dvd, est-ce que les gens avec X sorties dans la semaine, se disent : « Vais-je aller voir un film muet ? »

On a rouvert après trois ans de fermeture. Au moment où j’ai fait Frissons, La Mort, les salles étaient pleines. Aujourd’hui je ne sais pas si on le faisait de la même manière, ce serait toujours le cas. Pour Frissons par exemple, la plupart des films n’étaient pas disponibles en dvd. Les gens étaient fous de voir ces classiques des débuts du cinéma ou des années 1970 sur un cycle. Aujourd’hui tout est en dvd, des films que je n’ai pas pu avoir pour Frissons. La Cinémathèque s’est installée à Bercy, ça marche bien. Ils ont une jolie programmation. Les habitudes du public ont changé. Les gens prennent des cartes illimitées et l’utilisent. Ils ne vont pas prendre un deuxième abonnement. S’ils en prennent un deuxième, c’est à Beaubourg, à la Cinémathèque ou chez nous. Mais pas les trois ensemble. Il y a tout de même une déperdition du public. La VOD de même fait son travail. C’est plus difficile de motiver le public à venir voir des films rares. On essaie de comprendre comment réagit le public. Il n’y a pas de recettes pour réussir à populariser une programmation. En rouvrant depuis seulement un an et demi, on est encore en phase d’observation. On essaie de comprendre les habitudes du public.

 


Faust, une légende allemande, F.W. Murnau (1926)

Quelle est la place du Forum des images face à La Cinémathèque et à la diversité des lieux de cinéma à Paris ?

Il y a vraiment des différences de contenu. Nous ne sommes ni une cinémathèque (bien qu’on ait une collection très riche), ni un cinéma d’art et d’essai qui diffuse les films plusieurs fois. C’est notre manière de programmer qui crée une différence. Nous sommes thématiques. La Cinémathèque avait essayé quelques temps, notamment pour l’Expressionnisme allemand en parallèle de leur exposition. Le Centre Pompidou a longtemps été sur des cinématographies nationales et maintenant sur des rétrospectives intégrales d’auteurs. C’est un axe de programmation qu’on a exclu d’abord pour ne pas empiéter sur le travail de nos collègues, mais aussi par rapport à l’histoire du Forum. A l’origine nous étions la vidéothèque de l’histoire parisienne. Les premières programmations étaient des thématiques parisiennes : la circulation, l’habitat… Puis on s’est ouvert sur l’urbanité en général. Il y a eu une envie de pousser les murs et on s’est permis des coups de cœur. On crée des saisons cohérentes avec alternance entre portraits de ville, thèmes sociologiques plus classiques pour nous (la programmation Pères) et Noir Lumière où on joue sur les codes du cinéma. Il va y avoir un cycle A perte de vue sur des films de paysage à voir sur grand écran et un portrait de ville Moscou/Saint-Pétersbourg. Cela donne des saisons très variées. Le public se retrouve là-dedans.
Ce qui est aussi apprécié chez nous, ce sont les différentes interventions et les possibilités de rencontre. Il y a évident le mythe du cinéaste qui vient avec la master class Coppola par exemple qui fut un grand succès. Mais il y a aussi une curiosité vers des gens moins connus et moins attendus. Les gens aiment pouvoir poser des questions, pouvoir discuter avec les intervenants. Ils ne se sentent pas complexés à l’idée de poser des questions à Michel Pastoureau ou d’autres. C’est une belle réussite pour nous que cette proximité entre le public et nos invités. On sent qu’il y a une curiosité et un vrai désir d’apprendre sur le cinéma.

 


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