Entretien avec Emmanuel Mouret

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On mourait d´envie de le rencontrer depuis Changement d´adresse et c´est chose faite à l´occasion de la sortie de Fais-moi plaisir. Autour d´un café glacé au Wepler, un bel après midi d´été, Emmanuel Mouret nous parle ainsi de séduction, de Blake Edwards et même de science-fiction.

On dit souvent qu’un cinéaste réalise un film contre le précédent. Est-ce le cas de Fais-moi plaisir ! , véritable comédie qui vient après le plus grave Un baiser s’il vous plaît ?

En effet, il y a un peu de vrai là-dedans. Contre, ce serait un peu exagéré. Je vois un peu mon travail comme celui d’un artisan, où on essaye un certain nombre de choses en faisant un film. Il y a justement des choses que l’on découvre et qu’on a envie d’approfondir, et d’autres qu’on a faites et qu’on a envie de mettre un peu de côté. Et puis des choses qu’on aime faire et qu’on a envie de répéter. J’ai à la fois le sentiment de faire à chaque fois une proposition assez différente et en même temps, d’avoir un certain nombre d’obsessions, qui donnent envie d’enfoncer le clou. Les deux choses vont de pair. Les obsessions, ce sont peut-être des choses qui tournent autour du désir. Les choses que j’avais envie d’approfondir, ce sont des choses qui avaient été un peu esquissées par endroits : les gags, plus visuels, plus physiques. Il y a aussi des choses qui étaient dans le dernier que je réutilise, comme l’utilisation libre des flash-back. On peut parfois avoir le reflexe de vouloir aller vraiment contre, et en allant trop contre, on peut ne pas se servir de ce avec quoi on est à l’aise. C’est Picasso qui disait que quand on sait composer un tableau avec quatre personnages, il faut exécuter un tableau avec trois personnages, pour qu’on sente l’aisance. En allant trop contre, si on va vers des choses que l’on ne maitrise pas, on peut perdre cette aisance. Pour que le film respire une certaine fluidité, ou une certaine « grâce », il faut aussi aller vers des choses avec lesquelles on se sent à l’aise. On ne va pas forcement contre son dernier film, on peut aussi aller contre d’autres films. Pour un cinéma contre un autre cinéma.

Si on pense de manière spontanée à The Party pour la scène de la fête, on a aussi pensé à After Hours de Scorsese, notamment à la fin du film. Ces films vous ont-ils inspiré ?

Ce sont des films que j’aime beaucoup. Je peux même vous dire que ces deux références ne sont pas fausses puisqu’évidement ce sont deux films auxquels je pensais lorsque je préparais le film. Les films où il y a un enchainement de gags, comme chez Blake Edwards, notamment dans The Party, il n’y en a pas énormément dans le cinéma. Il y a maintenant les frères Farrelly… Il y a Tati aussi. La différence ici, c’est que c’est dans une situation de désirs directement confrontées à des femmes, ce qu’il n’y a pas dans The Party ni chez Tati. Par rapport à After Hours, l’idée d’une nuit où le personnage est pris dans une spirale d’événements, c’est évidement une idée que j’aime énormément.

On aimerait parler du langage dans vos films, notamment lorsque vous exprimez le désir et la sexualité. Pourquoi utilisez-vous un champ lexical assez soutenu, un phrasé décalé et un ton distancié ?

J’ai l’impression que dans le discours amoureux, qu’il soit celui du couple ou de la séduction, la plupart du temps, ça passe énormément par le langage. On rencontre une fille, on veut essayer de la séduire, on va aller prendre un verre et on va discuter… Contrairement à beaucoup de films où il suffit d’un regard ou de la coincer : des choses qui me dépassent ! J’ai l’impression, par rapport à tout ce qui se passe autour de moi, que tout ce qui a un rapport avec la séduction ou avec les problèmes de couple passe par le langage. Et puis, souvent, mes personnages sont partagés entre deux désirs : celui de leur appétit sexuel, leur libido, leur désir, et de l’autre côté, celui d’être des gens biens, de faire attention à l’autre… Choses, somme toute, très communes. Le langage est la façon de formuler ce problème de conscience des personnages. Ils essayent d’y trouver une solution. Ici, le personnage d’Ariane (ndlr : Frédérique Bel) se dit que tous les hommes depuis la nuit des temps sont infidèles – plein de récits nous le rapportent : l’adultère est quelque chose de commun. On va changer la donne, on est un couple moderne, on est dans une époque de raison et de rationalité, on va coucher avec d’autres ! Les personnages trouvent souvent à ce conflit des solutions assez rationnelles, qui font l’humour même de la chose.

J’aime aussi ces dialogues un peu de mauvaise foi et de justification, qui utilisent des images pas possibles. Ça m’amuse et je pense qu’il y a un comique derrière cela. Ce sont des choses qui peuvent aussi arriver dans le réel…

Les thèmes que vous abordez sont assez intemporels (l’analyse du sentiment amoureux, le désir, le couple), il y a cependant un style très sixties dans Fais-moi plaisir !, avec son générique animé, sa musique et son humour. Pourquoi ce choix esthétique ?

Il s’est imposé de lui-même. Ce qui donne avant tout cela, c’est la musique. Jusqu’à présent, la musique classique permettait de rendre les choses plus intemporelles. Lors de la scène de la soirée, j’avais cette musique de Jimmy Smith, une sorte de « libre brodage » autour de Pierre et le loup de Prokofiev. Ça fait assez fin des années 60. J’ai essayé des choses plus contemporaines, mais on perdait une certaine forme de légèreté. Ça rendait les choses plus ténébreuses, une couleur qui n’allait pas. Je n’ai pas trouvé d’autres choses qui me conviennent.

Il y a dans cette époque la rencontre entre des formations assez classiques et du jazz, et qui font des ensembles musicaux que j’aime beaucoup. Dans ce film, je me suis peut-être laissé aller à un certain nombre de choses que j’aimais, en étant moins rigide et plus sensuel selon mes goûts. Certains films peuvent renvoyer à une certaine époque. Pas mal de cinéastes peuvent se nourrir de ce côté quasi nostalgique qu’a la musique, Tarantino, par exemple…

La séduction et l’innocence sont des thèmes qui vous sont chers, pouvez-vous nous dire quelle est la part d’Emmanuel dans les films de Mouret ?

Je ne sais pas s’il existe une frontière. La personnalité de quelqu’un est nécessairement multiple. En fait, je ne me pose pas la question de qui je suis, pour dire la vérité. Je pense que le réalisateur est un peu comme les comédiens. Même si c’est moi qui l’ai écrit, on a un scénario. J’essaye de faire un film que j’aime et ce que j’y mets passe par le filtre de mon goût. Je ne pense pas qu’il faille se poser la question de savoir si mes films me ressemblent. Je ne pense pas non plus qu’on fasse quelque chose d’original en voulant y mettre de la personnalité. Je n’ai jamais cherché à mettre de la personnalité dans mes films, même si on dit qu’ils sont singuliers. A part le fait que je joue dans certains d’entre eux, ce qui un prolongement physique de l’écriture. La plupart des situations sont des situations très communes. C’est comme pour les comédiens, ils ont un texte, et les bons comédiens n’essayent pas d’être originaux mais d’être sincères. Le mot est peut-être exagéré, mais pas complètement. J’essaye d’être sincère, en tous cas dans mes goûts, et de ne pas mettre des choses que je n’aime pas dans mes films. C’est une notion qu’on peut trouver chez la plupart des cinéastes que j’admire. Je trouve ça vil, bas et laid, de mettre quelque chose qu’on n’aime pas dans un film. Même des personnages adversaires, il faut au moins en être fasciné.

Pour ce qui est du désir, on ne peut pas aimer le désir, mais on peut être fasciné par ce qu’il produit de beau, de cruel, de drôle…

Etant adolescent, un des grands intérêts du cinéma, plus ou moins consciemment, c’était de savoir comment sont les filles, de les voir de près, parce que j’étais extrêmement timide et impressionnable. Le cinéma permettait de savoir comment les autres faisaient pour séduire. Il y a quelque chose de fondateur provenant de l’adolescence qui est la fascination pour les femmes, et ce côté très impressionné. Même chose pour les grands héros maladroits, ceux qui dans les films perdent leurs moyens face aux femmes. En général ils sont à côté de la plaque, comme on peut être nombre à se situer. Ils sont complètement charmés par une femme, souvent indifférente à eux, et qui à la fin du film devient charmée par ce qu’ils sont vraiment, c’est-à-dire maladroits et à côté de la plaque. C’est une leçon d’espoir énorme. Et en même temps un très beau message : une jolie personne saura poser un regard tendre sur vous. Là, le cinéma c’est génial ! On se dit tout est possible… Je suis très reconnaissant au cinéma pour cela.

L’innocence a à voir avec ça. Dans mes films, les personnages ne sont pas blasés. Je pense que l’innocence et une certaine forme de candeur, ressemblent à notre être intime. Je ne pense pas que le cinéma soit la vie. Il y a quelque chose dans notre être intérieur qui est forcément innocent. Même le plus grand savant, Faust, qui sait tout, perd ses moyens devant une femme. Il y a toujours un être innocent en nous, un être à côté de la plaque… Et c’est ça que j’aime dans mes personnages et dans les gens qui sont autour de moi. Je le vois en moi et ça me réconcilie avec le monde.

On retrouve ça dans mes films, c’est toujours : « tel est pris qui croyait prendre ». Dans Fais-moi plaisir, que ce soit mon personnage ou le personnage féminin, ils ne maîtrisent rien et sont tous débordés par les choses.

Ce que j’aime encore chez les maladroits, et c’est l’autre leçon de ce cinéma, c’est que malgré tous les obstacles qu’ils rencontrent, les échecs, les chutes qu’ils vont avoir, ils vont chaque fois se relever sans accuser la vie, sans accuser les autres, sans rancune, sans devenir cyniques ou amers, et ils vont continuer leur chemin. Sans être ni optimiste, ni pessimiste non plus. C’est extrêmement touchant, car ces films sont proches des tragédies : les Keaton, Chaplin, La Garçonnière de Billy Wilder avec Jack Lemmon… On est parfois plus touché qu’on ne rie. Ça vient aussi des interprètes, Peter Sellers, Pierre Richard… On sait que leur personnage n’aura jamais vraiment d’amertume. Il a quelque chose d’assez noble, il ne sera jamais mesquin. C’est une leçon de cinéma, qui passe par des anti-héros.

Vous interprétez principalement un personnage écrit par et pour vous dans vos films. Envisagez-vous d’être l’acteur d’un autre réalisateur ?

Je n’ai aucune ambition dans cette voie. J’ai joué dans un film de Claire Simon parce-qu’elle me l’avait demandé (ndlr : Les Bureaux de Dieu, 2008). Je la connais et elle avait insisté. Et comme je ne devais jouer qu’avec des comédiennes, j’ai accepté. Et j’aimais beaucoup le projet aussi.

Vous ouvrez Promène-toi donc tout nu par le carton « une comédie sentimentale pour adultes ». Envisagez-vous de changer de genre ? Un western ? Un film de science-fiction ?

Un western, a priori, non… Comme beaucoup de cinéastes que j’aime, Leo McCarey, Wilder, Lubitsch, ou Woody Allen, ont fait des mélodrames dans leur carrières, ça me plairait de faire un drame. Mais j’essaie de faire tous mes films comme si c’était de la science-fiction. Comme le dit Lacan : « Le réel est l’impossible ». C’est pourquoi je trouve toujours ça pernicieux quand on dit : « ce film, c’est vraiment la vie ! ». La vie, c’est tout, c’est chaque individu qui existe, c’est autre chose, une infinité de perceptions de l’apercevoir. C’est donc impossible de saisir le réel. Et le cinéma, c’est autre chose que la vie. Ce sont les idées qui passent au cinéma, le goût, les sensations… Le réalisme est toujours un code, quelque chose de convenu. Tout ce qui importe dans un film, c’est l’envie d’y croire. Il y a quelque chose qui est de l’ordre du spectacle, de la musique. On ne va pas ne pas aimer telle musique sous prétexte qu’elle n’est pas réaliste, ni E.T. parce qu’on se dit que les extraterrestres n’existent pas. Un film contemporain, c’est tout de même de la science-fiction. On part de choses de la vie, mais ce sont des correspondances. On invente et propose des choses.

Entretien réalisé à Paris par Victor Lopez et Dorian Sa, le 22 juin 2009

Titre original : Fais-moi plaisir !

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Durée : 90 mn


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