Entretien avec Cyril Mennegun

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« Le cinéma, c’est l’art du temps ». A l’occasion de la sortie de « La consolation », rencontre avec un cinéaste pour qui le son et l’image font sens.

Crédits photo Marie Clémence David, 2017

Le scénario est remarquablement épuré (recentré sur le drame intérieur des deux personnages). Quelle a été votre démarche lors de son élaboration ? Êtes-vous parti d’un récit plus factuel, dans lequel vous avez progressivement élagué ce qui vous semblait superflu ?

 

Le récit était un petit peu plus large au départ. Mais pas tellement, le récit était déjà très épuré dès le début. D’entrée de jeu, mon intention était de me situer dans une démarche narrative très pure, très minimaliste. Ce qui m’intéressait en faisant ce film, c’était de laisser toute leur place à l’image et au son, pour qu’ils dialoguent ensemble. Pour raconter une histoire autrement, pas par le biais d’une narration classique dans le sens scénaristique du terme, avec des rebondissements, avec des figures imposées, avec le dialogue qui vient expliquer, qui vient donner des motivations. Être dans un geste beaucoup plus atmosphérique et beaucoup plus poétique que théâtral. Le dialogue donne trop souvent au cinéma un aspect théâtral, il emprisonne également trop les acteurs en agissant sur le corps et sur le jeu. Mon travail de metteur en scène consiste à ce que les images, les lumières, le son fassent sens, et de n’utiliser les dialogues que lorsque c’est absolument nécessaire.

Vous avez écrit le scénario en créant deux colonnes, une pour l’image et une pour le son. C’est pour mieux travailler leur relation, leur complémentarité, leur contraste ?

Oui et aussi pour être conscient moi même des deux matériaux. Pour faire une différence entre ce que le son peut m’apporter et l’image peut m’apporter. Que les deux ne racontent pas la même chose, que le son ne soit pas la simple illustration de l’image, et que l’image ne soit pas strictement un support pour le son. Pour qu’il y ait différentes strates de perception du film, au niveau sensoriel. Le son, c’est ce qui s’adresse le moins à l’intellect, c’est beaucoup plus animal. Le son est beaucoup plus direct, c’est lui qui convoque l’imaginaire.

Avez-vous envisagé l’ensemble des sons (bruits, souffles, intonations vocales et mélodie) comme constituant une partition musicale ?

Oui, oui. De toute façon, lorsque l’on introduit si peu de dialogues dans un film, le son n’a pas qu’une seule fonction. Il possède tout une fonction d’évocation, une évocation poétique. Le son transporte tout un univers, et ce film, dont l’un des sujets est l’enfance, sur celle du héros. Cette maison où il arrive, c’est un endroit dont il ne souvient pas, mais qui est inscrit en lui. Dans la vie, c’est par le son, et aussi par l’odeur que les choses nous submergent. Personnellement, je suis très sensible au son, à chaque saison correspond un ensemble d’intonations qui me rappellent mon enfance.

Ce qui permet au spectateur de s’immerger, de s’installer, dans le récit, c’est le sentiment d’une dilatation du temps. Le temps semble suspendu. Peut-on évoquer la notion d’instants plutôt que celle de scènes pour la structure, le découpage du métrage ?

Je vais dire quelque chose qui peut faire un peu cliché. Il y a très longtemps quand je ne savais pas encore que j’allais devenir metteur en scène, quand je vivais à Belfort, dans ma campagne, j’ai lu dans un texte : « Le cinéma, c’est l’art du temps ». Cela m’avait complètement captivé, et cela m’est resté. C’est notamment pour cela que Louise Wimmer (2012) et La Consolation ont approximativement la même durée. C’est volontaire de ma part, car je voulais me rendre compte de l’expression différente que je pouvais faire de l’impression du temps. Le temps est un matériau. Je savais dès le départ que j’allais travailler sur des plans longs, je voulais travailler sur quelque chose de moins monté. Aussi, pour que l’image, la durée des plans laissent le temps de la perception du son. Que la perception du son nous ramène à l’image. Tout cela, on ne peut pas le faire en coupant dans tous les sens, avec trois caméras. La durée des plans est également une autre manière de faire plaisir aux yeux. Peut être en les divertissant moins, mais dans une relation picturale que le cinéma permet. Pour cela, il faut prendre du recul, prendre le temps de regarder. On entre alors dans l’œuvre, on la comprend. On se pose, le temps d’un instant. C’est vrai que je préfère la notion d’instant à celle de scène, c’est une conception moins formatée de la notion du temps. Une séquence, cela ne se partage pas, un instant, cela se partage.

Les deux comédiens principaux, Corinne Masiero et Alexandre Guansé, ne semblent jamais jouer l’émotion, ils la vivent, tout simplement. Comment les avez-vous guidé dans leur approche des personnages ?

Je ne les ai pas fait beaucoup travailler en amont. J’ai privilégié les échanges. Je leurs ai demandé de ne pas trop réfléchir, c’est à dire de ne pas conceptualiser ce qu’ils allaient faire. De ne pas chercher des réponses, des motivations aux réactions de leurs personnages. De ne pas se raconter trop d’histoires, de rester le plus vierge possible, pour être plus libre dans leur jeu. C’est l’une des raisons pour laquelle j’ai fait ce film, pour progresser dans ma direction d’acteur, de travailler d’une façon totalement différente que sur Louise Wimmer.

Même si l’histoire se déroule probablement de nos jours, l’atmosphère paraît intemporelle. Les lumières, les couleurs œuvrant dans ce sens. Vous êtes-vous inspiré d’un courant pictural ou de photographes particuliers pour composer la tonalité de vos images ?

Non, pas spécialement. Mais sûrement inconsciemment, sur certains aspects, la peinture hollandaise m’a influencée, Vermeer, par exemple. Inspiré, inconsciemment aussi, par le cinéma Russe, je m’en suis aperçu par la suite.

L’atmosphère, la force des sentiments m’ont rappelé l’univers de Maupassant. Comme dans le dernier film de Stéphane Brizé, Une Vie, vous réussissez à nous faire partager avec une grande force l’intériorité des personnages, tout en gardant une distance, comme du respect pour leur intimité ?

Oui, c’est marrant, car si un jour je dois adapter un écrivain, cela sera sûrement Maupassant. Au delà de la littérature du dix-neuvième siècle, les courants picturaux de cette période m’inspirent. L’imagerie du dix-neuvième siècle me parle. Mon prochain film se passe à cette époque. Par ailleurs, j’ai beaucoup apprécié le film de Stéphane Brizé.


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