Entretien avec Aurélia Georges

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A l’occasion de la sortie de son premier film L’homme qui marche, rencontre avec la jeune réalisatrice française Aurélia Georges, ex élève de la Femis.

Votre film est donc librement inspiré d’une histoire vraie, du parcours tragique d’un écrivain mort de faim dans les rues parisiennes. Ce point de départ « réel » a-t-il été pour vous une contrainte vous empêchant de laisser libre cours à certaines fantaisies, ou au contraire, vous a-t-il guidée dans l’affirmation de vos choix esthétiques et narratifs ?

Pour moi, il y avait en effet la question du respect de la vie de celui dont s’inspirait le film. Cela a été une contrainte jusqu’à ce que je décide d’en faire un personnage à part entière, et donc de lui donner un nom bien à lui. A partir de là, les inventions devenaient possibles… Mais il est vrai que cet écrivain réel m’a « inspirée », et mes désirs d’images (Paris d’alors, les déambulations, la ville comme jungle), les thèmes auxquels je rêvais (l’esprit dada ou poétique, la présence de la politique dans la vie, la solidarité), les idées qui me venaient autour de son histoire (rencontres avec les femmes, folie douce), sont inspirés par lui.

Le choix de votre comédien, César Sarachu, est pour beaucoup dans notre attachement progressif au personnage. Par sa relative opacité, son jeu assez minimaliste, il incarne une forme de figure mi-burlesque (par sa silhouette, sa démarche, son inadaptation au mouvement du monde) mi-pathétique (il se distingue tellement de ses contemporains que l’on ressent très vite et durablement sa solitude, son absolue marginalité)…

La marginalité, l’étrangeté radicale, sont l’énergie du personnage, jusqu’à participer à sa perte. Cela, César Sarachu l’a composé entièrement, puisque ce n’est nullement sa nature, il est même le contraire dans la vie. Le burlesque appartient à son corps et au travail que ce comédien fait sur lui-même, notamment au théâtre (après être passé par l’école Jacques Lecoq, à Paris) depuis 30 ans bientôt. Et ce burlesque ajoute une dimension inattendue pour moi au personnage, lui donne de la fantaisie. Il y a aussi l’humanité que César Sarachu confère au personnage, puisque la douceur de son caractère dans la vie reste présente dans son regard. C’est une des richesses qu’il a apportées.

Bien que vos plans semblent très travaillés, composés avec sûreté, sérénité, l’on est régulièrement frappés par la place que vous semblez donner à l’incident dans l’image par votre emploi du son, qui donne sans cesse une conscience du hors-champ et annonce la possible irruption d’un élément inattendu et par votre souci de la durée, votre volonté de donner à l’épuisement du temps une place primordiale…

Les choses sont plutôt travaillées, en effet, que laissées ouvertes pour l’événement inattendu. Le tournage était trop tenu en temps et en finances pour que nous « ouvrions » ; par ailleurs, c’est plutôt un goût que j’ai de préparer les plans précisément. L’attention aux détails, au temps, aux gestes – de César notamment – est préparée aussi…

On aperçoit le cineaste et critique Serge Bozon, dans votre film… Vous sentez-vous proche, dans votre approche, de certains jeunes auteurs tels que ce dernier ou Axelle Ropert, Alain Guiraudie ?

J’aime en effet leur recherche, à tous les trois, d’un cinéma qui ne cherche pas à imiter le monde, mais plutôt à en inventer un. C’est une des propriétés du cinéma, je trouve.

Plus largement, vous sentez-vous totalement indépendante dans vos choix ou avez-vous plus ou moins conscience d’une certaine filiation avec des artistes très soucieux de la lenteur et du hiératisme des corps et des lieux tels que Manoel de Oliveira, Monteiro… Akerman ?

J’aime les cinéastes que vous citez, pour leur singularité, et pour le fait que les mots, les gestes, chez eux, « sonnent », on les entend mieux que dans un flux qui imiterait la vie… Du coup on regarde et on voit différemment…
Mais je ne crois pas que la lenteur soit un souci chez eux – plutôt le temps. En tous cas, de mon côté je ne la recherche pas en tant que telle. C’est plutôt une attention aux gestes. Si vous les regardez d’une certaine façon, les faites exister sans imiter la vie, alors on se met à voir autre chose.

Votre film a une dimension réaliste inattendue, notamment dans les dernières séquences montrant Viktor, le héros, perdu dans les avenues parisiennes, amené à vendre son vieux chapeau pour une modique somme… Y a-t-il de votre part une volonté de « faire réagir » le spectateur, lui faire prendre conscience de la réalité du parcours d’un SDF, avez-vous la fibre « politique » ?

Je ne pensais pas changer radicalement de style en cours de film, mais plutôt laisser le monde envahir le personnage de plus en plus – d’où une vision plus « réaliste » de Paris aujourd’hui. Faire réagir le spectateur n’était pas délibéré, en tous cas s’il est ému, j’aimerais que ce soit auparavant aussi.

Les derniers plans sont d’une grande beauté mais aussi très violents… Tout d’un coup, tout ce qui pouvait sembler incertain quant à la réalité de la situation de votre personnage devient flagrant… Difficile de sortir de la salle sans garder les derniers plans en tête. Aviez-vous dès le départ la volonté de représenter les différentes vitesses de la société (la norme mobile et plus ou moins indifférente ; la marge stoppée net dans son mouvement et étalée sur la place publique) de manière aussi frontale et épurée ?

Oui, les mots « vitesses différentes » me plaisent… Et la frontalité aussi est un goût chez moi… J’ai enlevé la plupart des travellings au montage, ils me semblaient bavards… Le fait que nous ouvrions le cadre joue bien sûr… Et je pense qu’en effet le mouvement de la marche interrompue de cet homme suffit à dire beaucoup de choses sur la norme et la marge…

Déjà d’autres projets en tête ? En cours ?

Une comédie en cours d’écriture, et un projet de film romantique, une histoire d’amour fou entre une Noire et un Blanc au début du 19ème siècle…


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