El Dorado (Howard Hawks, 1966)

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Heureux qui comme Ulysse, a fait un beau voyage.

Les visages n’ont qu’à peine changé et tout semble être à sa place : sept années après Rio Bravo (1959), Howard Hawks retrouve son saloon, sa prison, son hôtel. Si ce n’est le nom de la ville – qui se fait désormais appeler El Dorado – rien n’a bougé, comme si on était parti la veille. Le monde continue de tourner autour de ses femmes, le shérif et ses assistants n’ont pas complètement dessaoulés et les grands propriétaires terriens y font toujours la loi.

Après trois relatifs échecs commerciaux et artistiques – Hatari (1962), Le Sport favori de l’homme (1964) et Ligne rouge 7000 (1965) -, Howard Hawks s’appuie sur son définitif Rio Bravo pour en réaliser deux variations qui seront ses ultimes films, El Dorado (1966) et Rio Lobo (1970). Écrits par la même Leigh Brackett, ces trois scénarios sensiblement identiques donnent à John Wayne le rôle d’un juste au grand cœur venant à l’aide d’une ville vivant les derniers instants de son époque. Alors qu’à trop tirer sur la corde il ne reste plus grand-chose dans Rio Lobo si ce n’est la mythique figure de l’acteur, la manière avec laquelle El Dorado bégaie Rio Bravo donne une véritable existence au film aux côtés de son aîné. Autour des personnages joués par John Wayne et Robert Mitchum – les amis Cole Thornton et Harrah, l’un mercenaire et l’autre shérif -, il flotte dans El Dorado une joyeuse tristesse absente du film originel de 1959. Au contraire des Cheyennes (1964) de John Ford et de Il était une fois dans l’Ouest (1968) de Sergio Leone où l’un comme l’autre enterrent à leur manière le western, il n’est pas ici question d’une mélancolie du genre. El Dorado n’est pas un film désabusé sur la représentation de l’Ouest américain et si l’un de ses derniers plans présente les deux copains hilares béquilles sous le bras, c’est que les souvenirs d’Howard Hawks vont ailleurs.

 

 

Ce que raconte El Dorado est avant tout l’histoire d’un retour. Dès la première minute du film, Cole Thornton revient en ville après un long voyage et y retrouve un ami (le shérif Harrah) et la femme qu’il aime, Maud (Charlene Holt). Pour le cinéaste, filmer un retour c’est filmer une seconde chance offerte pleine de souvenirs éparses et d’espoirs. Ce retour se vit alors dans les yeux des autres, ceux qui sont restés à attendre mais qui se sont tout de même résignés à vivre seuls. Pourtant, comme s’il était revenu trop vite, comme si la joie et la mélancolie de la réapparition de Cole Thornton au milieu de ceux qui l’aiment ne pouvaient être intelligibles, Howard Hawks choisit rapidement de le refaire partir. Autour de la vingtième minute, une étrange et grande scène d’adieu est mise en scène où Maud embrasse Cole et le regarde s’éloigner à nouveau dans l’ouverture de la porte. Comme si Ulysse était rentré trop tôt de son odyssée et n’avait rien à raconter, Cole repart afin de nous montrer les images qu’il a dans le cœur. La première heure de El Dorado qui va suivre, dans les grands espaces du Far West, tranche d’avec l’enfermement de Rio Bravo – où il n’était pas question de sortir de la ville -, mais organise surtout ainsi le second retour de Cole. Bien qu’elles furent nombreuses, qu’importe les péripéties, l’important est d’en revenir l’âme pleine. Ce second retour sera définitif et Howard Hawks pourra alors rejouer, pour rire, le film de 1959 dans le décor de la ville miroir d’El Dorado.

 

 
 
À la manière de la camaraderie entre Cole et Harrah et du jeu comique de Robert Mitchum, on rit en effet beaucoup dans El Dorado mais comme pour se protéger ; comme pour cacher qu’on en a gros sur le cœur. Cole a une balle coincée près de la colonne vertébrale, Harrah est un alcoolique notoire mais qu’importe, Howard Hawks les réunit à nouveau pour rallonger encore un peu le voyage et continuer un moment l’aventure. Au bout il y aura cette ville, El Dorado, où il faudra s’installer définitivement et cet amour, Maud, qui n’attendra pas éternellement. En rejouant Rio Bravo, Howard Hawks donne à ces hommes autour de la cinquantaine encore un peu de répit et les rassure : colt à la ceinture, à l’abri des femmes, pendant un temps encore vous restez des enfants. El Dorado reprend point par point de nombreuses scènes de son aîné mais semble ne penser qu’aux minutes de paix où Chance (John Wayne), Dude (Dean Martin), Colorado (Ricky Nelson) et Stumpy (Walter Brennan) y chantaient ensemble "My Rifle, My Pony, and Me", puis "Cindy Cindy". Les paroles de la première chanson – "Comin’ home, sweetheart" – rejoignent celles de la seconde – Get along home, Cindy-Cindy / I’ll marry you sometime – et c’est tout El Dorado qui se replie sur lui-même. L’aventure se termine, et rigolards Cole et Harrah jouent aux durs avant de lui tourner définitivement le dos. Le voyage a pris fin pour eux et il va leur falloir trouver un nouveau moyen d’être heureux.

Heureux qui comme Ulysse
A fait un beau voyage,
Heureux qui comme Ulysse
A vu cent paysages
Et puis a retrouvé, après
Maintes traversées,
Le pays des vertes années.



Georges Brassens, 1970.
 

Titre original : El Dorado

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Durée : 126 mn


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