Edouard et Caroline (1951)

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Critique sociale, champagne et couple qui se rabiboche.

Après Antoine et Antoinette (1947) et Rendez-vous de juillet (1949), Jacques Becker propose avec Edouard et Caroline une nouvelle variation autour du couple, marquée par une légèreté entêtée, mais sous laquelle affleure également en filigrane une critique sociale, en l’occurrence celle d’une caste d’aristocrates aussi ridicules qu’hyperboliques, pour lesquels ne pas avoir d’habit est « catastrophique » ou « désastreux » et arriver en retard « terrible ». L’argument mince du couple de jeunes mariés qui se disputent avant de se rabibocher sert aussi de prétexte à une réflexion somme toute profonde sur les atermoiements du cœur.

Du plaisir à l’état brut

Ce marivaudage co-scénarisé et dialogué par Annette Wademant, disparue en septembre dernier et associée entre autres aussi à Michel Boisrond, n’a donc d’abord l’air de rien avec son scénario très ténu, en apparence inconséquent voire anecdotique, avec notamment cette « histoire », si tant est qu’on puisse même l’appeler ainsi, de gilet perdu puis retrouvé. Cependant, comme nous l’enseigne d’ailleurs le film, il ne faut pas se fier aux apparences, et un emballage de bluette insignifiante peut cacher un authentique bijou, comme c’est ici le cas. Il faut saluer une mise en scène élégante sans être tapageuse, avec, par exemple, un travelling inaugural bien trouvé qui nous fait entrer comme par effraction dans l’appartement des Mortier ainsi que des plans-séquences délicats comme chez les Beauchamp, qui, à rebours des comédies découpées jusqu’à l’hystérisation, font durer des instants avec fluidité, sans brusquer le spectateur, et un agréable sens du rythme. En digne héritier d’un Lubitsch, Becker pratique une comédie sophistiquée dans laquelle la qualité des plans n’est en rien sacrifiée sur l’autel de l’efficacité comique. N’oublions pas également la photo caressante du grand chef opérateur Robert Lefebvre, qui a notamment travaillé pour Delannoy, Bernard, Autant-Lara, mais aussi Pécas. Enfin, un scénario subtil et des dialogues drôles, sans jamais devenir trop présents ou appuyés, laissent tout autant la mise en scène qu’un ensemble d’acteurs la possibilité de s’exprimer pleinement comme de garantir un plaisir continu.

 

Des acteurs à l’unisson

Les silences du malicieux Daniel Gélin comme de la pétulante Anne Vernon en disent ainsi bien long… On retient aussi dans le rôle de la concierge l’apparition de l’irrésistible Yvette Lucas, grande abonnée de seconds rôles chez Duvivier, Decoin, Verneuil ou encore Preston Sturges. Elina Labourdette tire son épingle du jeu en se distinguant à la fois par sa beauté comme par sa truculence et on note enfin la présence de William Tubbs, qui joue un Américain de Chicago ne comprenant rien à l’anglais de Claude Beauchamp, que celui-ci a pourtant appris à Oxford : là encore une manière d’épingler ce milieu dans lequel on s’exclame, et comme si c’était là un des problèmes essentiels de l’existence : « Je n’ai jamais pu choisir entre le satin mat et le satin brillant ». On sent bien que la sympathie de Becker, co-scénariste avec Wademant, penche bien du côté du personnage d’Edouard, le pianiste plutôt désargenté, et de la « Bohême » qu’il représente.


De l’inconséquence… seulement en apparence !

Le ton de la comédie et l’agrément qu’il procure sert en fait à camoufler un propos plus profond de la part de l’auteur de Casque d’or (1952) et de Le Trou (1960). Edouard, le pianiste sans le sou, qui a épousé une femme d’une origine sociale supérieure, peut faire penser au Georges Dandin dans la pièce éponyme de Molière, qui lutte d’un complexe d’infériorité par rapport à Angélique de Sottenville, issue d’un milieu nobiliaire comme l’indique la particule qui précède son nom de famille (1668). Son épouse, réticente par rapport à ce mariage, va le tromper avec le tendre Clitandre, et ici, dans Edouard et Caroline, la tentation de l’adultère est également présente, puisque Alain convoite par exemple activement sa cousine Caroline et est prêt à profiter de la première occasion venue pour prendre la place d’un Edouard qu’il méprise.

Edouard d’ailleurs est aussi soumis à la tentation, puisque et Florence Borch de Montreuil et Lucy Barville le trouvent à leur goût tout en appréciant sa virtuosité musicale. C’est ainsi, et de la même manière que dans Antoine et Antoinette, qu’en étant mis à l’épreuve, le jeune couple va en sortir plus fort…

Edouard et Caroline fait ainsi partie de ces grands films qui tout en disant des choses très fines et pertinentes le font avec une simplicité, une élégance et une telle absence de prétention comme d’esprit de sérieux qu’on ne peut qu’être conquis.

photo du film edouard et caroline

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