DVD « Cochon qui s’en dédit » de Jean-Louis Le Tacon

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Tout est bon dans le cochon ? Pas sûr, à en croire ce documentaire brutal et sans appel, qui fustige les conditions de travail d´un éleveur de porcs. Un fleuron méconnu du cinéma militant des années 70.

« Nous allons projeter un film cochon » ! Patrick Leboutte, directeur de la collection Le geste cinématographique aux Editions Montparnasse, ne lésine pas sur les jeux de mots pour nous introduire en douceur à l’œuvre rêche et difficile de Jean-Louis Le Tacon. Légèreté bienvenue, car après les ripailles de fin d’année, Cochon qui s’en dédit risque fort de provoquer quelques indigestions. Pas de quoi rire en effet devant cette plongée sordide au cœur d’une porcherie, qui réveille par endroits le fantôme de Pier Paolo Pasolini – le réalisateur évoque d’ailleurs Salo en complément, avouant que la construction de son film repose principalement sur « les cycles de la merde, du sang et de la mort ». Dès les premières minutes, nous collons aux basques de Maxime, un jeune agriculteur qui fait corps avec son métier. Au petit matin, il enfile sa combinaison comme une nouvelle peau, entre dans un hangar peuplé de bêtes hurlantes, distribue la nourriture et nettoie les excréments, dans une ambiance proche de l’univers concentrationnaire. Obsédé par ce quotidien anxiogène, il « pense porc, rêve porc, baise porc ». Invité à commenter les images en voix off, Maxime parle d’un ton détaché, rendu insensible aux scènes les plus crues (reproduction, castration…). Souvent il s’exprime à la deuxième personne, comme s’il regardait un autre homme à l’écran – signe d’une profonde aliénation : « Tu deviens complètement maniaque… Dès que tu te laisses déborder, tu es emmerdé, emmerdé, emmerdé ! »

Dans le bonus De l’art et du cochon, Patrick Leboutte replace le film dans son contexte historique, une longue période militante qui s’étend de mai 1968 à l’élection de François Mitterrand en 1981. Il présente ainsi le cinéma de lutte des années 70 comme un « chaînon manquant » entre le cinéma direct des années 60 (marqué par de grandes figures comme Jean Rouch ou Pierre Perrault) et le cinéma d’auteur documentaire des années 80 (avec l’émergence de créateurs solitaires, tels Claire Simon, Nicolas Philibert ou Robert Kramer). A cette époque, cinéma et politique se confondent intimement : des collectifs d’ouvriers – comme le groupe Medvedkine, déjà édité en coffret dans la même collection – commencent à réaliser leurs propres films, chacun s’improvisant cadreur, monteur ou preneur de son. En s’emparant de la caméra, ils cherchent à inventer des formes de contre-pouvoir aux images dominantes. Pour des raisons autant économiques qu’idéologiques, ils s’écartent des supports classiques et utilisent un matériel technique plus amateur : Cochon qui s’en dédit a été tourné en super 8, ce qui n’empêche pas Jean-Louis Le Tacon de réussir des travellings sidérants entre les rangées de porcs.

Au niveau du discours, les cinéastes de ce mouvement tentent de libérer l’individu en lui apportant la distance critique nécessaire, tout en lui donnant les clés d’une possible révolte. Dans la séquence onirique qui clôt Cochon qui s’en dédit, Maxime lance par-dessus une barrière des animaux qui lui reviennent sans cesse entre les pattes. Fantasme d’évasion qui ajoute une touche lyrique à ce tableau cruel et réaliste d’un monde rural contaminé par les méthodes industrielles et l’implacable logique de production capitaliste.

Ancien séminariste, Jean-Louis Le Tacon a perdu la foi pendant les conflits de 1968, avant de s’intéresser au cinéma sous l’influence de Jean Rouch – auquel le film est dédié. A l’Université Paris X – Nanterre, il suit les cours de l’auteur des Maîtres fous : il reprendra son idée de caméra participative ainsi qu’un traitement du son qui donne tout son relief à l’image. Œuvre virulente et radicale, Cochon qui s’en dédit marque à la fois l’aboutissement d’une génération enragée et engagée, et la fin d’une utopie : la noirceur du propos et son désespoir sourd n’incitent guère à l’optimisme.  


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