Dog Pound

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Percutant, le second long métrage de Kim Chapiron, responsable il y a quatre ans de l’horrible « Sheïtan », est assurément l’un des grands films de cette année.

Un bon film peut-il racheter l’outrage que fut son prédécesseur ? Telle est la principale question accompagnant le constat de la réussite inattendue de ce Dog Pound, second long métrage de Kim Chapiron, signataire en 2006 de l’immonde Sheïtan. Le film ne séduirait que par ses qualités de correcte série B suivant sans esbroufe les codes d’un genre un peu tendance (la fiction carcérale), une forme de réponse aurait été : rendons grâce au jeune chien fou pour sa rédemption, sa remise en question d’une ambition vaine de choquer ce bourgeois de spectateur, à renforts d’exhibition du refoulé d’une hypothétique France profonde (consanguinité, imbécilité heureuse, viols consentis…). Or, Dog Pound surprend au-delà de toute espérance, se révélant de bout en bout à la juste mesure de son sujet. Osons même dire sans crainte que c’est un grand film, une expérience très éprouvante mais surtout saisissante, une œuvre aboutie, quelque part imparable.

Inquiètent certes au départ les saynètes introduisant les trois personnages principaux (Davis, Angel et Butch) à grand coup d’effets visuels et sonores dignes au pire d’un Kim Chapiron des origines, au mieux d’un Larry Clark en petite forme (scène de sexe sans glamour, menaces répétées puis explosion de violence très frontale…). Scènes nous préparant à subir une nouvelle dissection des sombres pulsions d’une civilisation en pleine contemplation de sa débâcle. Sauf que très vite cette crainte et cette anticipation du moindre geste laissent place au réflexe le plus basique du spectateur de cinéma : la simple réception des images, l’adhésion sans grande résistance au tracé limpide de cette « adaptation » des trois lascars à l’enfer d’Enola Vale (une prison américaine pour mineurs).

Dog Pound gagne à tirer profit de chaque parcelle de son territoire d’élection, ne privilégiant jamais le spectacle de la violence au détriment du cadre initial de son histoire. Les morceaux de bravoure gagnent surtout à n’être assujettis à aucune jouissance trop manifeste, le ratage de Sheïtan reposant notamment sur la négation bouffonne de toute morale, les grimaces de Vincent Cassel et ses jeunes amis tenant lieu de doigts d’honneur offerts à tout adepte d’une quelconque cohérence esthétique ou narrative. Chapiron et ses acteurs (au même titre que neuf ans plus tôt le Jan Kounen de Dobermann) se présentaient à l’époque comme une troupe de sales gosses amorçant une sorte de « cinéma bis bis», parrainée par les grands frères Cassel et Kassovitz (qui depuis les cités de La Haine ont chacun leur tour foulé le sol des studios hollywoodiens), revendiquant sur les plateaux TV l’ambition de Kourtrajmé de proposer une alternative au cinéma français dominant, de secouer avec leurs modestes moyens le cocotier du septième art national.

Objectif pas moins respectable qu’un autre sur le papier, mais sabordé par la découverte horrifiée sur l’écran de ce qui s’avérait n’être rien moins qu’une autre forme d’académisme : celle du pur et simple nihilisme, du rejet régressif du concept même de « mise en scène », révélateur de la confusion profonde du projet. Là où Dog Pound gagne pour la raison inverse : émancipé de ses ambitions de subversion trop criardes, Kim Chapiron ne devient rien moins qu’un vrai cinéaste, capable de s’effacer au profit de l’écoulement clair et organisé des scènes, privilégiant la réalisation presque sereine d’un petit film indépendant américain.

Autre élément majeur contribuant à la réussite effective du film, en même temps qu’à son potentiel d’affirmation comme œuvre singulière : arrivant près d’un an après le surmédiatisé Prophète de Jacques Audiard, Dog Pound gagne étrangement à en être la quasi parfaite antithèse, aussi bien au niveau du format (une bonne heure de moins) que du canevas scénaristique (nulle success story en ces parages). Les personnages de Dog Pound, contrairement aux icônes d’Un Prophète, ne sont pas des figures cinématographiques « conscientes », la trame narrative s’avérant ici beaucoup plus minimaliste, le champ d’action et de vision infiniment plus restreint (la question de l’extérieur, de la réinsertion sociale de ces jeunes est à peine esquissée). Dog Pound ne sera pour le meilleur que le produit d’un enchaînement de causes et d’effets ayant le grand mérite de n’être jamais surlignés. Chaque situation est la suite logique d’une entreprise initiale, chaque explosion de violence la conséquence d’une accumulation de provocations ne donnant suite sur le moment qu’à une acceptation raisonnable. Comme si Chapiron avait pris conscience que la meilleure manière de garantir au spectateur un semblant d’instabilité était de s’intéresser à la chair plutôt qu’au sang, à l’affect plutôt qu’aux grimaces.

Et quoi de mieux qu’une sélection d’acteurs pour la plupart non professionnels (certains étant même des jeunes ayant vécu cette expérience de la prison pour mineurs) pour rendre au sujet toute sa nudité, conférer aux gestes et aux mots toute leur évidence ? Chaque personnage, chaque acteur du film a son aspérité, les questions conjointes de la simulation et du réel gagnant à s’éclipser sous le poids de cette promiscuité. Le film n’est certes pas exempt de forcing scénaristique, interpelle parfois par le retour d’une crudité rappelant les antécédents potaches de son auteur, mais à aucun moment ces ficelles ne parviennent à nuire durablement à la grande homogénéité de l’ensemble. Dog Pound restera un film très cohérent dans sa structure globale, idéalement compact, où aucun personnage n’est à l’abri d’une perte de contrôle, détenus et matons étant assurément faits du même bois. Le pouvoir est moins ici une affaire d’uniforme ou de gabarit que de provocation puis de modération de situations limites.

Nombreuses sont les scènes du film laissant deviner qu’importe moins l’événement, la manifestation d’une révolte que l’évidence de sa relativité. Lorsqu’ils ne pensent pas à s’entretuer, ces jeunes sont surtout logés à la même enseigne, partagent la même galère, la même cellule, les mêmes douches, les mêmes chiottes… le même langage. La plus belle séquence du film, susceptible de donner un indice sur son secret, serait alors celle de la Balle au Prisonnier, où un gardien noir somme les détenus, instinctivement associés en fonction de leur clan, voire de leur race, de dépasser la distinction primaire au profit du potentiel de délocalisation propre à tout jeu. Et ce sans schématisme ni guimauve, avec l’autorité tranquille inhérente à la fonction privilégiée d’arbitre, entité neutre comme on sait. Cette exigence de neutralité, d’infinie (re)définition de chacun, de chaque espace commun guidera heureusement le film jusqu’au bout.

Titre original : Dog Pound

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Durée : 91 mn


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