Dissidente

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Film d’apprentissage d’une jeune fille confrontée à l’esclavage moderne et à l’horreur économique

Les damnés de la terre

Dans la Vallée du Richelieu, région agricole du Québec, Ariane est embauchée dans une usine en tant que traductrice. Elle se rend rapidement compte des conditions de travail déplorables imposées aux ouvriers guatémaltèques engagés comme saisonniers pour la récolte du maïs. Tiraillée, elle entreprend à ses risques et périls une résistance quotidienne pour lutter contre l’exploitation dont ils sont victimes. Voici le résumé de ce très beau film qui fait de plus en plus aimer le cinéma québécois. Pour un premier long-métrage, c’est une belle réussite surtout que le Québec ne nous a jusque-là pas tellement habitués à des films sociaux ou politiques. Dissidente, comme son nom l’indique, dresse le portrait d’une jeune femme qui n’accepte pas l’horreur économique qu’on nous inflige jusqu’à plus soif. Ariane, qui a accepté ce travail alimentaire pour pouvoir rembourser le prix de sa maison depuis qu’elle est séparée de son ex, est la fille d’une autochtone ex-DRH et d’un père disparu, d’origine guatémaltèque. On l’apprendra dans le cours du film mais c’est sans doute en souvenir de ses origines que sa position d’interprète va lui permettre de prendre peu à peu le parti des travailleurs exploités. « Avant Dissidente, confie le jeune réalisateur dans le dossier de presse du film, j’ai réalisé une dizaine de courts-métrages dont plusieurs fictions déjà inspirées de longues recherches documentaires. Mon film Tala s’intéressait aux aides ménagères philippines qui travaillent dans les familles bourgeoises québécoises. Lors de l’enquête que j’ai menée pour le réaliser, j’ai découvert la communauté des migrants guatémaltèques qui est devenue le cœur de Dissidente. »

Interprète ou syndicaliste

Il ne faut toutefois pas se fier au résumé du film car, au fil de la narration, on découvre que l’exploitation agricole que vient d’acquérir le jeune Stéphane, interprété par un impeccable Marc-André Grondin, ne lui appartient pas vraiment et qu’elle est entre les mains d’un groupe français dont le manager l’oblige à des résultats et des remboursements de dettes. On le constate : la machine folle du capitalisme, fonctionne à plein rendement jusqu’au crash final qui tarde un peu. Car, finalement, dans ce système absurde et injuste, tout le monde est malheureux parce que tout le monde est exploité à commencer bien sûr par ces saisonniers sud-américains qui, en plus de connaître des rivalités ethniques, subissent le patronat et doivent, en plus de cette précarité, payer un tribut à l’ouvrier qui leur a permis de trouver cet emploi ! Ariane, jeune et belle femme intelligente, interprétée par une magnifique actrice, Ariane Castellanos, se retrouve entre le marteau et l’enclume et sera forcée de démissionner parce qu’elle aide trop les employés, si bien que Stéphane, son supérieur, lui demande un jour si elle est traductrice ou déléguée syndicale. De cette actrice, le réalisateur déclare : « J’ai commencé par Ariane Castellanos que j’avais déjà rencontrée en 2015 pour Vétérane, un de mes courts-métrages. Elle avait auditionné pour un petit rôle mais avait été si extraordinaire que je l’avais écrit pour qu’elle soit plus présente à l’écran. Quand elle m’a révélé qu’elle était à moitié guatémaltèque, j’ai changé le nom du personnage de Dissidente pour qu’on ne puisse imaginer personne d’autre dans le rôle. Son personnage est pivot, il s’adresse directement au public face à un problème moral : la nourriture est plus ou moins abordable parce que quelqu’un au bout de la chaîne de production est exploité. »

Esclavage moderne ?

Bien sûr, ce film n’est pas une révolution à lui tout seul, mais il réconforte en ces temps d’égoïsme forcené. Le spectateur est heureux de constater qu’il existe encore des gens du cinéma sincères et combattifs qui se dressent contre le mur de l’indifférence face à la sauvagerie de ce système qui perdure, on ne sait pourquoi. En 2023, un rapport spécial de l’ONU a cependant conclu « que le programme des travailleurs étrangers temporaires représentait le terreau fertile de l’esclavage moderne. »

 

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Durée : 89 mn


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