Des filles en noir

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Tout est dit dans le titre : « Des filles en noir » n’a d’autre motivation que de faire corps avec son sujet 100% dark. A moins que…

Encore un film de filles, donc, moins d’un mois après La vie au ranch de Sophie Letourneur, drôle d’objet décidément, dont il est encore bien difficile de mesurer la place réelle dans le tout venant du cinéma français. Mais là où les filles du ranch interpellaient par leur art de ne s’attarder sur aucune idée fixe, de laisser la vie, les situations du quotidien donner matière à un délire tout circonstanciel, une divagation libre de toute forme d’explication de texte, Jean-Paul Civeyrac choisit quant à lui d’annoncer presto la couleur : des filles « en noir », donc. Entendez des filles pas fun, marginales, anti système, anti adultes, anti-tout, les mecs sont des salauds, etc.

Il va sans dire que devant pareil dessin, pareille adoption par un cinéaste de la radicale négation du monde des deux adolescentes lui tenant lieu d’ « héroïnes », il ne sera pas simple de voir en Des filles en noir beaucoup plus que ce qu’exige cette restriction. Noémie et Priscilla ont en tête de se suicider ensemble, le plus tôt possible, pourquoi pas ce soir. Mais voilà, pour parvenir à leurs fins, c’est à dire faire ça « en beauté » – parce-que le suicide, surtout pour les jeunes, c’est, en même temps qu’un acte fatal, probablement aussi excitant et intimidant qu’une première fois… cela se prépare, se planifie –, les deux jeunes filles devront se persuader que le peu de choses les liant encore au monde des vivants confirme la nécessité de leur geste.

Ainsi le sixième long métrage de Jean-Paul Civeyrac – cinéaste s’étant distingué il y a une dizaine d’années par des premières réalisations au lyrisme un peu sourd, d’autant plus belles que se refusant à prendre la grâce d’une scène comme un acquis, un accomplissement d’auteur (Ni d’Eve ni d’Adam, Le doux amour des hommes, Fantômes), toujours sur le qui vive –, en plus de décevoir par son premier degré un peu daté dans l’esquisse des noires passions adolescentes, devient-il vite assez antipathique, sinon consternant.

Comment ne pas se sentir pris en otage par un film s’appuyant autant sur l’annonce de la plus infilmable des scènes, tout au moins de celles exigeant une distanciation toute particulière ? Comment adhérer à un film qui, au-delà de faire programme d’un suicide annoncé (à l’instar du Feu follet de Louis Malle ou plus près de nous du Single man de Tom Ford), opte pour le choix de littéralement accompagner le vecteur de ce projet dans sa logique de renoncement ? Très vite nous est implicitement démontré que ce peuple fantomatique entourant Priscilla et Noémie justifie leur aveuglement, que ces gens manifestement extérieurs à leur logique sont à leur manière un peu responsables du rejet de leur monde.

Un seul mouvement, donc, dans Des filles en noir : celui de la fuite en avant, de l’aveuglement « romantique ». Choix assez logique, en même temps, si l’on considère qu’un film réussi sur le sujet se devait, comme dans tout genre qui se respecte, avantager l’aspect du décor, de l’environnement des personnages principaux le plus en phase avec leur propre lecture du réel. L’échec esthétique et dramaturgique du film se situerait précisément là : dans l’élection d’un sujet se distinguant par sa résistance toute particulière au courant d’air, à l’altération.

Ainsi suit-on alors ces filles en noir dans leurs dernières heures, appréhendant à peine le surgissement, ou plutôt la représentation de l’instant t. Avec à la rigueur le lointain espoir d’une déroute, une déviation relançant possiblement les cartes, même in extremis. Avec la conviction surtout qu’à cette chronique d’un suicide annoncé s’alliera fatalement une ode finale à la vie, que succédera aux deux-tiers 100% dark du récit une dernière partie tenant évidemment lieu de récupération de ce qui au drame, jusqu’ici tout puissant, aurait par hasard résisté. Vieille morale du « mal pour un bien », achevant surtout de retirer au film entier une foncière cruauté à laquelle lui seul faisait mine de croire.

Titre original : Des filles en noir

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Durée : 85 mn


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