Curling, le titre, en rapport évidemment au sport nord-américain où les joueurs frottent la glace pour faire avancer le palet, est en somme une parfaite métaphore du film et de son sujet. Il s’agit d’un père et de sa fille, vivant tous les deux dans la campagne québécoise recouverte de neige. Julyvonne (la gamine) ne va pas à l’école, ne sort pas de la maison pendant que son père part travailler, fait le ménage et range comme une petite femme. Ils vivent loin de tous, dans un équilibre précaire, engoncé dans les traumas et les névroses du père. Ce synopsis de départ aurait pu valoir un film à lui seul, mais Denis Côté introduit plusieurs éléments dits perturbateurs. Le père se rend coupable de dissimulation d’un accident, la petite, en errant dans la forêt, découvre des cadavres et voit un tigre (!), où encore l’arrivée d’une jeune emo-girl au travail rend le père tout chose. Ainsi, comme pour faire avancer le curling, le cinéaste frotte son scénario, y ajoute nombre d’arguments, de source de tension, d’angoisse, de petites péripéties.
Le résultat n’est pas désagréable, surtout parce que Côté est indéniablement un metteur en scène. Son sens du cadre sublime l’environnement frissonnant, lui rendant force et impact, et si la fixité des plans rend l’ensemble assez rigide, austère, quelques scènes en forêt laissent présager de son talent pour l’action. On perçoit très vite son admiration et son goût pour le cinéma de genre, les thrillers américains et les frères Coen. Il place du sang dans un hôtel, des cadavres dans la neige et fait parfois bien monter la tension. Pourtant, ces pistes sont aussi vite délaissées qu’elles étaient apparues, et on peut même imaginer que certaines visions n’étaient que des hallucinations de Julyvonne.
Dommage, parce que ce sont ces intrusions de la violence sourde, ces étrangetés qui faisaient le sel du film, et non la relation père/fille comme on voudrait nous le prouver. Leur avancée, côte à côte, sur une route enneigée au début du film, dit beaucoup de leur relation : immuable, malgré les intempéries, ils resteront ensemble. Et la trajectoire perturbée qu’envisage Denis Côté pour qu’ils soient réunis in fine ne prend pas. De même, si le film est bien loin du naturalisme, il offre un portrait psychologique des personnages un peu trop "raide" pour que l’empathie ou l’attachement ne fonctionnent. Intéressants par leurs failles certes, ils n’en restent pas moins des figures de cinéma d’auteur : des êtres complexes, imprévisibles mais malgré tout sans épaisseur, sans vraiment de coeur. Ainsi, si le film est loin d’être indigent ou de manquer d’ambition, on peut souhaiter une chose à Denis Côté, c’est que Les Lignes ennemies, son prochain long métrage, soit le film de genre énergique qu’il promet.