Control

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<< L´existence... Quelle importance ça a ? Je côtoie la vie du mieux que je peux. Le passé fait désormais partie de mon futur. Le présent échappe à tout contrôle >>.

La voix-off de l’acteur Sam Riley ouvre le film. A l’écran, le visage est fermé, le corps recroquevillé sur lui-même : il ploie sous l’accablement. Même la voix est blanche. En 1980, Ian Curtis, leader anglais du groupe post-punk Joy Division se suicide à 23 ans. Une vie fulgurante, nimbée d’une noire légende, qui, sans doute, a permis au mythe de naître. Mais ce que choisit de filmer Anton Corbijn, c’est avant tout l’aveu d’impuissance d’un jeune homme. Le sien aussi, puisqu’il renonce d’office à percer les mystères de la douloureuse existence du chanteur. Il préfère retracer, en noir et blanc et non sans pointe d’humour – surtout au commencement, soyons honnêtes – sa courte vie : adolescence bercée par Bowie et par la poésie, mariage et paternité précoces. Puis, Ian Curtis rejoint « Warsaw », groupe amateur qui grandira en « Joy Division », petit nom donné aux bordels allemands pendant la guerre. C’est d’abord une bande de potes qui aiment gentiment provoquer, boire des pintes au pub du coin : on est loin de l’aura sulfureuse et excessive du rocker qu’aime croquer le traditionnel biopic.

 

Avec Joy Division, Ian Curtis fait ses débuts éblouissants comme chanteur, qu’on aurait aussi pu dire prometteurs si le jeune homme ténébreux n’eût été rongé par la mélancolie : la bruyante descente aux enfers sauce Hollywood ressemble plutôt ici à un lent effondrement intérieur. Ian semble saisi d’effroi dans la vie comme sur scène, ce qui se traduit par des crises d’épilepsie affolées qui le laisse exsangue. Brutales et spectaculaires, ses convulsions sont filmées comme de violents exorcismes, par lesquels son corps semble vouloir expulser quelque chose malgré lui. Le film plonge dans la noirceur romanesque quand Ian, en tournée, tombe amoureux de la belle Annik. Cette histoire d’amour avortée, douloureux échec, précipite aussi la fin de sa vie de couple avec Deborah (irritante Samantha Morton). On peut d’ailleurs se demander dans quelle mesure le fait que Control soit adapté du livre de Deborah Curtis influe sur la façon de retracer cette vie, les illusions amoureuses de Ian occupant une large place dans le film. Habité par la douleur, Sam Riley reprend la voix lugubre de Ian Curtis, ses transes improbables sur scène quand ses bras se balancent maladroitement et tout à coup s’affolent, se mettent à gesticuler, exécutant frénétiquement une danse macabre. Le reste de son corps semble alors avoir perdu tout contrôle.

 

 

Anton Corbijn filme aussi très bien l’irruption de la télévision comme média relayant dans les foyers des concerts de ces groupes comme Joy Division, les Buzzcocks… Lorsque Sam Riley/Ian Curtis chante « Transmission » sur un plateau télé, et se met à danser sous les yeux impressionnés de sa femme assise chez elle, son magnétisme transperce l’écran, mais c’est un charisme à part, un quelque chose de désaccordé qui ne rentrera jamais tout à fait dans le cadre. C’est exactement là où n’échoue pas Corbijn, qui parvient très bien à rendre compte de la résonnance des textes de Curtis avec son quotidien, à montrer à quel point il puise directement dans la vie de tous les jours la matière de sa poésie.

Control, c’est aussi un cadre poétique et déprimant : le Nord-Ouest de l’Angleterre, entre Manchester, cité natale de Ian Curtis, et Macclesfield, autre ville industrielle où il s’installa : des blocs d’immeubles qu’il traverse encore adolescent, quelques pubs, des maisons en briques juxtaposées, la fumée industrielle dans l’air. Le noir et blanc fige cette atmosphère, sans la rendre photogénique ou ternie, un peu lointaine. Enfin, des cow-boys traversent un écran de télé dans des vapeurs de whisky. Une larme coule sur une joue. En un même mouvement, vie et film vont s’achever.

Titre original : Control

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Durée : 120 mn


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