Confession d’un commissaire de police au procureur de la république

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Polar magistral et propos virulents se mêlent devant la caméra engagée de Damiano Damiani.

Cinéaste citoyen

Damiano Damiani réalisait avec ce Confession d’un commissaire de police au procureur de la république un saisissant pamphlet dénonçant les collusions entre la mafia et les hautes sphères de la justice et de l’Etat. Cet engagement et propos acerbe sont une constante de l’œuvre du réalisateur qui fit le prolongement de ce qu’on appela en Italie le « cinéma citoyen ». Ce terme désigne une vague de films italiens sortis entre la fin des années cinquante et le milieu des années 60. Le pays alors en plein boom économique voit naître diverses injustices liées à l’avidité des nantis, la corruption des institutions et le pouvoir toujours plus étendu de la Mafia, notamment la Camorra. Francesco Rosi initiera le mouvement avec des films remarquables comme Le Défi sur l’ascension d’un ambitieux jeune mafieux ou encore Main basse sur la ville dénonçant la spéculation immobilière sauvage et le rôle qu’y jouent les politiques. D’autres cinéastes engagés suivront comme Bernardo Bertolucci mais le « cinéma citoyen » n’est finalement que le prélude d’œuvres dont la production et la radicalité s’amplifieront à partir de la fin de la décennie. Deux raisons à cela : mai 68 qui s’avère tout aussi agité en Italie et entraînera dans son sillage des étudiants virulents dont certains basculeront dans les extrêmes et le terrorisme durant les « années de plomb » ; en 1969, ce sont les mouvements syndicalistes ouvriers qui plongent le pays dans le chaos.

 

 

Là encore plusieurs réalisateurs brillants s’engouffrent dans la brèche comme Elio Petri qui signera un mémorable Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon. Parmi eux, on trouve donc Damiano Damiani qui malgré son talent ne bénéficie pas tout à fait à l’époque de la même reconnaissance. En effet, contrairement à la forme austère d’un Rosi ou décalée de Petri, Damiani œuvre lui ouvertement dans le cinéma de genre, la notion de divertissement ne disparaissant jamais sous prétexte de « film à message ». Le cinéaste avait pourtant débuté dans un cinéma engagée à teneur plus auteurisante et intellectuelle au début des années 60 avec Jeux précoces, son premier film, pour lequel il remportera le Prix Fipresci au Festival de San Sebastian. Damiani prendra pourtant progressivement conscience que cette approche ne lui permet finalement que de prêcher auprès de convaincus, la critique et les militants de gauche. Pour que le message ait davantage de portée, il faut s’attaquer à des genres plus populaires que le grand public, en quête d’évasion, pourra également voir, et solliciter sa conscience dans des intrigues dont l’efficacité cache un fond plus polémique. La bascule se fera avec El Chuncho (1966), chef-d’œuvre du western spaghetti où Damiani dénonce rien moins que l’interventionnisme américain dans les pays d’Amérique du Sud. Le film est un succès immense et contribue à créer le sous-genre du « western Zapata » se déroulant durant la Révolution mexicaine et permettant ainsi diverses interprétations politiques aux intrigues.

Damiani, ainsi conforté dans son approche, appliquera le même traitement au polar où action musclée côtoie dénonciation de la corruption et de la mafia comme Seule contre la mafia (1970), La Mafia fait sa loi (1967) et donc Confession d’un commissaire de police au procureur de la république. Si Damiani possède lui une vraie signature visuelle et une finesse psychologique brillante, ce ne sera pas le cas de tous les suiveurs qui pousseront cela jusqu’à la caricature avec la création d’un autre sous-genre nommé « le film de mafia ». Les critiques italiens de l’époque diront ironiquement que ces films avaient un fond de gauche et une forme de droite, c’est à dire conventionnelle. A trop vouloir flatter et capter le grand public, on basculait ainsi dans un simplisme qu’aura toujours su éviter ce touche-à-tout qu’était Damiano Damiani.

Le bien et le mal

Confession d’un commissaire de police au procureur de la république voyait les retrouvailles entre Damiano Damiani et le scénariste Salvatore Laurani avec qui il s’était très bien entendu sur El Chuncho. Ce dernier film se caractérisait par la perte de repères progressive qu’il instaurait entre ses protagonistes et leur motivation : les révolutionnaires étaient autant des exaltés que des bêtes sanguinaires revanchardes envers leurs oppresseurs, le semblant de figure héroïque joué par Lou Castel s’avérait au final le plus détestable de tous… El Chuncho montrait qu’en période troublée, les êtres nobles et vertueux n’avaient plus leur place (s’ils avaient jamais existé) pour ne laisser que des hommes et femmes cédant à leurs pulsions, positive comme négative. C’est ce même constat qui est fait ici dans l’impasse que constitue l’étendue du pouvoir mafieux. Nous avons donc là le commissaire de police Bonavia (Martin Balsam) qui va sciemment faire libérer de l’asile un déséquilibré dont il sait qu’il ira dès sa sortie tuer l’homme d’affaire Lommuno (Luciano Catenacci) qui avait contribué à le faire interner. Lommuno est un promoteur immobilier véreux, en maille avec les notables de la ville, que Bonavia malgré tous ses efforts n’a jamais réussi à arrêter. La tentative de meurtre détournée de Bonavia échoue, ne laissant qu’un terrible bain de sang. Entre alors en scène le jeune procureur Traini (Franco Nero) qui va tenter tout à la fois de confondre les agissements de Bonavia, coincer Lommuno et dénoncer la corruption régnant en ville.

 

L’aspect le plus passionnant du film est le jeu de miroir entre Traini et Bonavia, en tous points opposés bien que poursuivant le même but. Traini, jeune magistrat idéaliste et ayant foi en le pouvoir des lois est formidablement incarné par un Franco Nero dont le regard bleu magnétique symbolise la bonté et la détermination. A l’inverse Bonavia (Martin Balsam, fameux second rôle américain qui trouva un second souffle dans le cinéma de genre italien) est un homme désabusé par un système auquel il ne croit plus à force d’entraves diverses à ses investigations au fil des ans. Damiani maintient l’ambiguïté autour de Bonavia et ses méthodes extrêmes (rejoignant paradoxalement celles de son rival lorsqu’ils se mettent mutuellement sur écoute) tandis que Traini est un idéal de droiture, renforcé par le physique avantageux de Franco Nero. La caractérisation des deux personnages sert aussi cette différence. Traini, fondu dans le système, est vêtu de costume strict et soigné et son appartement s’avère tout aussi sobre et impersonnel, hormis un tableau féminin représentant sa mère. Le plus âgé Bonavia semble beaucoup plus libre dans son attitude, entre sa maîtresse deux fois plus jeune que lui, ses vestes criardes à la mode. Tout cela n’est pas innocent et reflète finalement les méthodes des deux hommes. Bonavia se fie à son instinct et jongle avec la loi (lorsqu’il laisse échapper un jeune voleur) quand Traini y est entièrement soumis. Dans sa vie comme dans son métier, Bonavia fonctionne à sa guise, désolidarisé d’un système vicié selon lui.

 

 

Damiani ne choisit pas entre les approches des deux protagonistes, mais fait un douloureux constat sur celle qui sera la plus efficace. Un flashback révèlera que la vengeance est le moteur de la détermination de Bonavia et qu’il suit finalement son cœur. La raison voudrait que l’on prenne parti pour Traini mais la radicalité de son adversaire semble bien la seule alternative. Toutes les entorses de Bonavia serviront ainsi l’enquête (la dissimulation d’un témoin important notamment) quand Traini piétinera voire révélera des informations cruciales malgré lui aux taupes qui l’entourent. La mise en scène de Damiani forme un piège implacable dans sa neutralité et sa précision. Aucun artifice appuyant le côté mélodramatique des événements (la vengeance finale de Bonavia était pensée au départ en flashback avant de revenir à une narration au présent durant le montage) n’a court et c’est dans une logique presque inéluctable que la victoire des corrompus sera totale. Les méchants sont les seuls êtres unidimensionnels (Luciano Catenacci campant un fabuleux truand) et peu fouillés, formant une entité menaçante, solidaire et omnisciente comme on le verra durant la conclusion montrant le mal tapi dans les plus hautes sphères du système judiciaire.

La vision de Damiani est donc profondément désespérée. Il ne glorifie pas les actes de Bonavia mais les montre comme un mal nécessaire, la droiture de Traini s’appuyant elle sur un modèle qui n’existe pas ou plus. Les solutions extrêmes deviennent les seules possibles, comme un emblème de ces années pleines de soubresauts en Italie. Le film se termine dans un entre-deux sans appel où rien n’est amené à changer. Traini ne pourra que se perdre en suivant la voie de Bonavia ou servir le système corrompu en se soumettant à ses règles.

Titre original : Confessioni di un Commissario di Polizia al Procuratore della Repubblica

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Durée : 101 mn


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