Coffret DVD Les grandes fictions de la télévision » : longue vie à l´ORTF ! »

Article écrit par

Alors, comme ça, la télévision, ce serait de la M#### ?! A voir. Des heures de dramatiques vintages éditées par l´INA, assaisonnées, entre autres, par deux missiles du très revêche Averty, résistant le plus farouche à la censure créative.

L’Institut National de l’Audiovisuel s’est enfin décidé à glorifier les vestiges de son passé en rééditant quelques raretés de son ancêtre : l’Office de la Radio et de la Télévision Française, mieux connu sous les initiales O.R.T.F… C’est bien ! Pas seulement pour les nostalgiques indécrottables, mais aussi pour les curieux, friands de tunnels spatiotemporels, avides de retours vers le futur…

Les très riches heures de l’ORTF

Dès les années 1950, l’ORTF fait figure de terre promise pour tous les cinéastes qui peinent à s’imposer dans un milieu de plus en plus clos. C’est aussi l’occasion d’expérimenter de nouveaux modes de création. Marcel Bluwal, qui a vécu tout ce parcours, a donc choisi une série costaude de vingt-quatre dramatiques diffusées entre 1960 et 1977, illustrant la lente évolution de la télévision française. On passe du noir et blanc à la couleur en 1967, d’une télévision d’Etat à l’ouverture progressive à la publicité, autorisée dès 1968 sur la première chaîne, du direct à l’enregistrement… L’adaptation de la pièce Les Joueurs (Marcel Bluwal, d’après Gogol, 1960), véritable performance jouée et retransmise en direct – comme un match de foot – depuis les studios des Buttes-Chaumont, ouvre donc le bal qui s’achève avec Les confessions d’un enfant de chœur (Jean L’Hôte, 1977), dernière écume de la vague ORTF après son éclatement en 1974.

Un style ringard? Un tempo anesthésié? Un phrasé déclamatoire et empesé? On peut reprocher un paquet de choses à notre vieille lucarne, déjà alors bien molle à côté des rythmes plus saccadés des chaînes américaines. La faute à la pub qu’on maudit pourtant aujourd’hui… Comme quoi, on est bien capricieux… Les enfants pourris que nous sommes, en se penchant dans ce coffret, trouveront néanmoins de quoi méditer sur les défauts, peut-être pas si rebutants, de notre télévision balbutiante.

On s’étonnera par exemple de croiser une adaptation des Perses d’Eschyle, le moins glamour et le plus aride du trio gagnant de tragiques grecs, réalisée par Jean Prat en 1961. Véritable évènement critique et public, les téléspectateurs ont probablement été fascinés par l’allure mystico-mythique des costumes archi stylisées, métamorphosant les acteurs en statues archaïques bavardes et possédées. Parmi les nombreuses adaptations théâtrales, on sera d’ailleurs plutôt scié par la variété des auteurs : pas que du Beaumarchais et du Rostand, mais aussi l’absurde Ionesco ! Au risque de sonner vieux con : du Ionesco aujourd’hui en prime time… bon courage. L’idée aurait sûrement bien fait marrer le cerveau tout à fait disponible de Patrick Le Lay…
 


Les Perses                                                                                                 L’auto rouge
Le coffret compte un bon nombre d’adaptations théâtrales et littéraires, dont deux de Maupassant : Madame Baptiste et Le Père Amable de Claude Santelli (1974 et 1975). A noter, pour les fans qui souhaiteraient comparer avec celles de France 2. Certaines, souvent battues et rebattues, pourront évidemment lasser les moins franco-français d’entre nous (Vipère au poing ou Les Misérables). Last but not least, pour les amateurs de fictions originales, quelques fleurons, certains hantés par le néo-réalisme, comme L’auto rouge du militant socialo-communiste Jacques Krier, qui n’a franchement rien à envier à la Nouvelle Vague. C’était le but : Bluwal voulait prouver que la télévision n’avait pas à rougir de ses tâtonnements, ne serait-ce qu’en nous énumérant quelques-uns de ses acteurs, fameux : Piccoli, Marielle, Claude Rich, Rochefort, Jean-Pierre Cassel, Brasseur, Isabelle Huppert, Judith Magre ou encore la plus rare Alice Sapritch.

Le bon vieux temps ?

Attention toutefois à ne pas tomber dans le sentimentalisme aveugle ! C’était bien l’ORTF… mais quand? Avant Mai 1968 ? Lorsque De Gaulle avait le contrôle total sur les medias? Cela n’a pas trop changé, en même temps… Sous les pavés, les pavés ? Les vidéos d’Averty sont plus que jamais d’actualité.

Oui, on parle bien de vidéo et pas de cinéma. Une petite mise au point s’impose sur Jean-Christophe Averty, celui sans qui Michel Gondry serait resté coincé dans le ventre de sa mère… Un peu too much ? Averty ne fait pas dans la demie mesure, ça tombe bien. A l’occasion pianiste de jazz dans les clubs parisiens, il entre à la Radio Télédiffusion Française dès 1952, avec des idées déjà bien trempées. Il devient producteur en 1958, et crée, en 1966, la société de production Vidéo 5, avec notamment Pierre Tchernia, qui lui permet de recevoir des commandes d’une manière indépendante.

Liberté ! On se souvient – ou pas – de la fameuse affaire des Raisins Verts, de son superbe générique, de son bébé en celluloïd passé à la moulinette, suscitant l’émoi, en 1963, de quelques bourgeois consensuels, horrifiés devant leurs téléviseurs. La presse n’a pas hésité à le traiter de fou, de sadique ou, mieux encore, de Nazi ! Soutenu essentiellement par le mythique et acide Hara-Kiri (ancêtre du plus pâlichon Charlie Hebdo), sa participation active aux « événements » de Mai 1968 ne l’a toutefois pas empêché d’être reçu par tous les présidents de De Gaulle à Mitterand… Ironie du sort quand on sait son opposition à tous les pouvoirs, quels qu’ils soient.

A juste titre cependant, puisque qu’Averty fut un de fers de lance de la création vidéo à la télévision, trop souvent muselée. De tous les pionniers français de la vidéo, c’est sans doute lui qui a su le mieux tirer son épingle du jeu. Sa recette : la capacité à mixer sa passion revendiquée pour l’avant-garde et le surréalisme avec les courants artistiques émergents tels que l’Op’art dans la soupe populaire du divertissement. Averty ratisse large, mais pas toujours facile, de Montand de mon temps (1974) à Lautréamont (Beau comme…, 1990), en passant par Gainsbourg (Melody Nelson, 1971) ou même Dalida… Sans oublier son chouchou, celui auquel il revient le plus souvent : Alfred Jarry. Pour lui, le fameux studio des Buttes Chaumont n’a pour seul but que de perpétuer les acquis du cinéma industriel à la télévision. Averty voulait une télévision créative, distincte du cinéma et du théâtre : « la télévision c’est l’électronique »* ! Autrement dit, du rythme.

Autant dire qu’à la télévision comme dans ce coffret, forcément Averty détonne. Dans Les verts pâturages (1964), il n’hésite pas à revisiter la Bible, la faisant raconter aux enfants de la Nouvelle Orléans par un pasteur illuminé, la transformant en clip Gospel mâtiné de jazz… Yeah ! Et les anges, qu’est-ce qu’ils faisaient avant l’existence du monde ? Pardi, « ils étaient heureux puisque le péché n’existait pas. […] Ils faisaient des pique-niques délicieux avec des poisson fris, et des flans, des cigares à 10 cents pour les adultes ! […] Tous ces plaisirs que Dieu nous a enseigné, c’est parce qu’il a vu faire ses anges ! » On se convertirait volontiers ! Qui cracherait sur un Adam huilé, musclé et sexy, ou une Eve certes gracieuse mais… en petite tenue ! Abel et Caïn en petites frappes rock & roll : on se croirait presque dans West Side Story ! Certains téléspectateurs bien de chez nous se sont évidemment outrés de voir, un soir de Noël, les héros de leur cher livre saint incarnés par… des noirs.
 

Les verts pâturages
Plus BD que comédie musicale, Ubu enchaîné (1971) pousse à bout les trucages clinquants, les bricolage ravissants, et la satire politique déjà entamée dans Ubu roi (1965). Cette fois le célèbre tyran de Jarry fait des pieds et des mains pour s’enchaîner à l’esclavage, incarner Spartacus, au royaume des hommes libres revendiqués, honorant chaque jour leur devoir : être libre ! Les couleurs explosent (enfin !) dans des sables mouvants électroniques. Au royaume d’Averty : point de perspective, des bruitages burlesques, un sens aigu du contrepoint sonore et visuel, des personnages à la gestuelle guignolesque jaillissent des médaillons ou des volets. Les collages éloquents se passent de commentaires : les pots de chambres sont ornés du drapeau français, estampillés de la lettre M (du juron ubuesque « Merdre »), les procès ont lieu sur des chiottes – ça plairait à Buñuel –, et les bigots sont malmenés sans vergogne. Puis de temps en temps, Dieu sait pourquoi la voix d’Ubu dérape, elle prend des accents du général De Gaulle, celui de « la France libérée »… Averty n’en loupe pas une. Tout est bon pour taper sur les bons petits soldats de la République, pour glisser par-ci par-là du « CRS, SS ». Au palais d’« Ici mieux qu’en face », lorsqu’un anglais pointe le bout de sa moustache, on lui explique consciencieusement qu’au pays des hommes libres : on n’a pas de roi.
 
Ubu enchaîné
Averty frappe fort, mais n’en est pas moins exigeant. Quiconque a vu le maître à l’œuvre pourra en témoigner : précision d’horloger, costumes et chorégraphies taillés au millimètre, design graphique… jusqu’au trucages archi sophistiqués, à base de fonds animés, variations d’échelles, incrustations, surimpressions… Un véritable travail d’enlumineur. Une magie telle qu’on a pu très vite le surnommer « le Méliès de la vidéo ». Pas faux. Un Méliès qui aurait bouffé du Max Ernst et surtout du Marcel Duchamp, auquel il rend hommage régulièrement en reprenant constamment sur le ventre d’Ubu le motif de la spirale, référence à son fameux film de contrepèteries optiques subliminales et potaches, Anemic Cinema. Depuis l’eau a coulé sous les ponts et Averty n’a eu guère plus que ses yeux pour pleurer. A partir des années 1980, la course à la productivité et les privatisations successives ont eu raison de sa ténacité. A partir de 1985, Averty se fera de plus en plus rare.
 
« On a toujours cru que je méprisais le public, c’est faux, je les respecte infiniment, je lui donne le meilleur de ce que j’aime mais il ne me suit pas toujours. Mes audiences sont dérisoires même face au film le plus médiocre parce qu’on lui a cassé les yeux avec du sous-cinéma, du sous-feuilleton. On n’a pas appris à rêver au public et c’était le rôle de la télévision. »**

Le mépris : les chaînes de télévision connaissent bien ça maintenant. Il y a peu, il suffisait d’allumer son poste au moment de Qui veut épouser mon fils ? pour s’en convaincre… « Vive la Merdre ! »

* Anne-Marie Duguet, in Jean-Christophe Averty ; Paris : Dis-Voir, 1991, p20. L’ouvrage de référence sur l’artiste.
** Entretien avec Averty dans le Télé ciné vidéo de Juin 1981.

Coffret DVD en vente depuis le 2 novembre 2010
 

 


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi