Christmas in July (Le Gros lot, 1940)

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Si tu fêtes Noël en juillet, le gros lot te passera sous le nez.

Le Gros lot est le second film de Preston Sturges. Fort du succès au box office en tant que scénariste passé réalisateur avec son premier long métrage Gouverneur malgré lui (en 1940 pour la Paramount), Sturges, déjà routier du cinéma (il fut scénariste pour Howard Hawks, James Whale, Mitchell Leisen ou encore William Wyler), incite le studio à racheter une pièce qu’il avait écrite dès 1931, A Cup of Coffee, dont les droits appartenaient jusque-là à Universal et qui n’en avait encore rien fait.

 

 

Insomnie

Jimmy McDonald (Dick Powell), modeste employé de bureau, est l’un des participants du grand concours lancé par la marque de café Maxford pour trouver son nouveau slogan et qui a fait chauffer plus de deux millions de méninges pour tenter de gagner les quelques 25 000 dollars du premier prix. Sur les toits de son modeste immeuble où il vit avec sa vieille mère, Jimmy attend nerveusement le résultat de cet évènement majeur à côté de son poste de radio, accompagné de sa fiancée Betty (la belle Ellen Drew) à qui il explique sa base line : "If you can’t sleep at night, it isn’t the coffee, it’s the bunk" / « Si vous n’arrivez pas à dormir la nuit, ce n’est pas le café, c’est le matelas », partant du principe que le café ferait dormir (hein ?). Son slogan n’est pas bon, c’est même un contre-sens. Aucune chance pour lui de gagner mais il y croit, Betty, beaucoup moins, mais elle l’aime alors le soutient. Jimmy y croit tellement qu’il fait là une cible parfaite pour des collègues à l’humour douteux.

 

 
Bas les masques

L’heure de la reprise du travail a sonné dans les bureaux de l’entreprise Baxter. Sturges, après avoir filmé en travelling arrière toute la petite masse scribouillarde arrivée sagement en file indienne et tapotant frénétiquement sur leur machine dès le derrière posé sur une chaise, montre une Betty à la bourre et un Jimmy dissipé qui gribouille obsessionnellement le nombre 25 000 sur un calepin. Pris en délit flagrant d’oisiveté, il a droit à un petit recadrage dans le bureau du chef de service. Pendant ce temps, la blague se prépare : un faux télégramme annonçant Jimmy comme le grand gagnant du concours est déposé par les taquins collègues. La machine sturgesienne est lancée, à vous tordre le cœur : toutes les tentatives de dévoiler la mauvaise plaisanterie seront court-circuitées, Jimmy est félicité par le président qui lui offre une promotion et un bureau personnel, il intègre le cercle prisé des cadres à cigares qui le considèrent puisqu’il est maintenant un « capitaliste » comme eux, ses idées sont louées dès le premier jet, bref, il devient la valeur ajoutée de l’entreprise. À cette scène de lèche collective, Sturges répond immédiatement par celle des vendeurs d’un grand magasin. Le concours est un sésame à la confiance et aux courbettes. Jimmy va acheter à crédit tout ce qui pourrait faire plaisir, à Betty d’abord, puis à sa mère, la mère de Betty, la voisine, la cousine, la voisine de la cousine, et tous les mioches du quartier. Le Père Noël juilletiste, c’est lui. C’est là que la comédie prend toute son ampleur tragique et critique : l’amélioration de la vie de ces simples gens est un leurre d’une part et d’autre part, la société célèbre ici le vide. L’attitude de ces messieurs envers Jimmy repose sur un mensonge (mais un chèque réel que le docteur Maxford a bel et bien signé, quiproquo remarquable) que nous sommes seuls, avec les auteurs de la blague, à connaître et face auquel nous souffrons. Preston Sturges utilise le mensonge ou l’usurpation afin de mieux montrer et faire tomber les masques de l’hypocrisie. Hier petit employé, aujourd’hui riche concepteur publicitaire, le regard de la société sur Jimmy change instantanément. Sans parler du monde de la publicité, incarné par le patron Baxter, incapable de juger seul de la qualité d’une idée, et dont Sturges montre le grand opportunisme.

 

 

Sturges, cinéaste de la cruauté

Une fois la supercherie révélée – pas encore à l’intéressé -, les choses s’enchaînent vite et le film prend une tournure cartoonesque. Tous se mettent à courir dans tous les sens, on convoque l’armada d’avocats (pointant au passage une société ultra-procédurière), on fonce jusqu’au quartier du faux lauréat afin de récupérer le canapé-lit-lampe-radio-téléphone de sa pauvre mère et tous les cadeaux offerts aux voisins. L’un des créanciers détruit l’avion d’un enfant, s’en suit une scène de pur slapstick avec force projections de nourritures qui, même si elle finit bien, ne laisse pas moins un goût amer. La vision des 25 000 dollars qui s’envole n’est rien en comparaison de ce que Jimmy perd : savoir que ses idées valaient quelque chose. La cruauté du scénario (1) tient au fait que son personnage, généreux de surcroît, est victime d’un retour de manivelles par une action qu’il n’a pas déclenchée. Objet-métaphore présent à l’image, avec cette manivelle bien réelle du canapé convertible qui tombe à deux reprises dans un bruit métallique, apporté par les collègues désireux de se faire pardonner.

 

 

Si la fin de Le Gros lot offre un retournement un peu facile après une tirade d’Ellen Drew tire-larmes – on ne peut pas en vouloir à Sturges de souhaiter que ses personnages principaux s’en sortent -, elle ne doit pas faire oublier que le réalisateur donne ici dans la satire sociale, qu’il montre la laideur de la société derrière le comique. Le Gros lot est de loin son film le plus touchant et critique avec The Great Moment, dont le génie fut « d’avoir su prolonger la comédie américaine par la transmutation de l’humour en ironie » (2).

 

 

(1) François Truffaut a rassemblé sous le titre Le Cinéma de la cruauté les études d’André Bazin sur ce qu’il considérait comme les « cinéastes de la cruauté ». Sturges trouve légitimement sa place parmi les Dreyer, Buñuel, Hitchcock ou encore Kurosawa.

(2) André Bazin, L’Écran français, février 1949, cité dans Le Cinéma de la cruauté, Éditions Flammarion, 1975, p.58.

Titre original : Christmas in july

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Durée : 67 mn


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